Gabriel Ringlet, vice-recteur de l'Université de Louvain, est invité à Altkirch le 5 novembre par les Conférences Culture et Christianisme.
Quel Evangile pour demain ? Etrange question ! Comme si l'Evangile qui existe depuis vingt siècles pouvait ne plus être valable demain... Etonnant conférencier aussi ! Prêtre et cependant sympathisant de la laïcité, théologien et poète, ami des humbles et vice-recteur d'université, méchamment poursuivi par d'éminentes crosses intégristes et chaleureusement encouragé par une foule d'évêques clairvoyants, considéré comme un fossoyeur de la religion par les esprits chagrins et comme un pionnier de la foi par les hommes d'espérance... Diable ! Où veulent donc en venir les Conférences Cultures et Christianisme à travers cette invitation peu banale ?
Il ne s'agit évidemment pas de déterminer s'il faut préférer pour demain l'évangile de St Jean à celui de St Mathieu, ou celui de Luc à celui de Marc, et encore moins d'en inventer un cinquième... La question posée est autrement cruciale. Quelle est la bonne nouvelle qu'annonce à nos contemporains cet Evangile de Jésus-Christ qui, ayant pris corps il y a deux mille ans, ne demeure parole vivante qu'en continuant à s'incarner dans les réalités quotidiennes de l'histoire humaine ? C'est une vraie question, que nul texte de la Bible ou de la tradition ne résout a priori, mais qui est confiée à la liberté des hommes de chaque temps. Rien n'est joué par avance : c'est chaque croyant qui est responsable de Dieu et de l'avenir de Dieu en ce monde.
Le conférencier qui parlera le 5 novembre de cette question à la Halle au Blé d'Altkirch ne revendique aucun savoir ni aucune autorité extraordinaires, mais sa sympathie pour les hommes et sa passion pour Dieu rendent sa parole claire et pénétrante. Journailiste et écrivain, abordant inlassablement les auditoires les plus divers, et souvent présent à la télévision, il s'intéresse d'abord à la vie des gens et du monde telle qu'elle se déroule au jour le jour. Il veut en scruter le sens et le dévoiler, partager les bonheurs et les malheurs, aider à mettre au monde la foi et l'espérance chrétiennes. C'est de ces cheminements qu'il parlera en toute simplicité, sans escamoter les interrogations et les doutes qui les parsèment.
Amours partagés
Quelques indications sur ses trois derniers livres (parus en 1996, 1997 et 1998) permettent de mieux situer G. Ringlet et sa parole. A travers 64 histoires banales ou extravagantes, l'ouvrage intitulé "Eloge de la fragilité. L'actualité à fleur d'évangile" montre que la grandeur de Dieu ne réside pas dans sa puissance, dans ses perfections ou dans sa gloire, mais dans sa "com-passion" pour les femmes et les hommes de ce monde - en particulier pour les plus déshérités, si souvent blessés par la vie. "Un peu de mort sur le visage" est une méditation lyrique sur la joie et la souffrance qui se conjuguent au plus intime de chaque existence et la tissent comme une oeuvre toujours sublime, quel qu'en soit le tragique - figures de femmes qui soulèvent les pierres de nos tombeaux pour que renaisse le printemps.
Dans "L'évangile d'un libre penseur. Dieu serait-il laïque ?", l'auteur aborde de front les problèmes qui surgissent pour les chrétiens et les Eglises de la sécularisation véhiculée par la modernité ; pourquoi l'Evangile ne pourrait-il pas de nouveau réenchanter le monde si Dieu était libéré des tabernacles pour être reconnu dans le prochain et partagé avec lui, jusque dans les bas-fonds de nos villes et des bouts de monde ?
Chercher l'essentiel
Dans l'interview qu'il vient de donner pour les Conférences Culture et Christianisme, G. Ringlet estime que "la distance qui se creuse entre le monde et les Eglises résulte peut-être surtout, malgré quelques beaux efforts, du fait que ces dernières n'ont pas su accompagner les femmes et les hommes du XXème siècle dans leurs recherches nouvelles". Il les invite à quitter les sanctuaires pour s'immerger dans les réalités profanes : "C'est dans la quête de sens et la diversité du monde actuel que les Eglises doivent essayer de rejoindre nos contemporains, pour recevoir d'eux leur part de vérité, et pour leur porposer la foi et l'espérance chrétiennes".
Il est vrai que la civilisation occidentale est minée par un matérialisme cynique et conquérant qui menace désormais le monde entier, mais il n'est pas moins vrai qu'il nous faut aujourd'hui espérer et réaliser l'impossible : maîtriser les dérives en cours pour sauver l'aventure humaine qui est en même temps une aventure de Dieu. G. Ringlet le rappelle en ces termes : "L'impossible habite au plus profond de nous-même et de l'univers, et nous avons vocation à le découvrir et à l'incarner, à continuer la création du monde et à faire advenir Dieu sur notre terre, à enfanter et à sauver Dieu parmi les hommes".
"Retrouver l'esprit des béatitudes, réinventer la bonne nouvelle de l'Evangile face aux problèmes et dans les langages de nos contemporains, et repenser en conséquence les structures ecclésiales constituent des tâches urgentes pour tous les croyants", et pas seulement, précise G. Ringlet, pour les ecclésiastiques et les théologiens professionnels. Parce qu'il ne doute ni de Dieu ni des hommes, il a la conviction que les chrétiens d'aujourd'hui sont capables, comme beaucoup de ceux qui les ont précédés, de répondre à ces défis en se mettant au service des autres - et ce jusqu'à accomplir de vrais miracles. Dieu ne saurait se révéler ailleurs: "La transcendance ne se dévoile et ne s'offre à la prière que là où règne l'amour".
Si les Eglises veulent transfigurer le monde, il leur faut accepter de s'y perdre comme le Christ s'est perdu dans l'humanité : "L'Evangile nous enseigne que le salut passe par la mort, et que c'est en se sacrifiant que la vie peut se renouveler. En irait-il autrement pour les Eglises ?" Les communautés chrétiennes auront certes toujours besoin de lieux de réunion, de ministères et de liturgie pour vivre leur foi, mais il importe que les décors ne se substituent pas à l'essentiel. G. Ringlet pense que "c'est parce que les chrétiens manquent de foi qu'ils se crispent sur leur patrimoine historique : leurs bâtiments, leurs institutions, leurs rituels et le faste de leurs cérémonies". Mais aucun mur, aucun pouvoir ni aucune solennité ne pourront conserver la foi si elle ne vit plus dans le coeur des hommes, et le Dieu qui est amour n'a que faire des cultes que les sociétés humaines rendent à leurs rois et à leurs idoles.
Les Eglises ne vivront qu'en se jetant résolument dans "l'étonnante immensité du mystère de l'Incarnation". Parole subversive et libératrice, "l'évangile de Jésus Christ est la bonne nouvelle toujours nouvelle, fille de Dieu parmi les hommes, forte et fragile comme l'amour, resplendissante comme la vie et humble comme la mort, libre comme un enfant au matin de la création".
Contexte et perspectives
En pratique, il importe de ne pas confondre les priorités. L'avenir des Eglises semble hypothéqué par la chute des pratiques culturelles, par l'effondrement des vocations religieuses et sacerdotales chez les catholiques, et par la désaffection croissante des fidèles pour les formes traditionnelles de la religion dans toutes les confessions. Diverses innovations institutionnelles sont envisagées et parfois entreprises pour tenter de remédier à cette situation, tels le remodelage des configurations paroissiales et la mise en place de nouveaux ministères. Mais l'origine profonde des difficultés se situe ailleurs. Si des restructurations sont assurément indispensables pour adapter les institutions ecclésiales aux nouvelles contraintes internes et aux déterminations d'un environnement inédit, il est cependant clair qu'elles ne pourront pas créer par elles-mêmes une dynamique nouvelle. A quoi peut-il servir de "sauver les meubles" alors que l'esprit étouffe ?
La fidélité à l'Evangile implique l'audace de le réinventer pour demain, et tous les hommes de bonne volonté sont conviés à participer à cette tâche dans une confiance mutuelle. Emergeant d'une société qui se veut laïque et oecuménique, les Conférences Culture et Christianisme sont désireuses d'apporter - en étroite collaboration avec les Eglises - une modeste contribution à cette oeuvre commune. Programmée dans cet esprit, la conférence de G. Ringlet ne manquera pas d'ouvrir des perspectives d'espoir. Comme le dit Jacqueline Kohler, la coordinatrice de ces conférences : "Il est heureux que le Père Ringlet apporte à la théologie un nouvel enthousiasme poétique. Quand c'est la fraîcheur des premières amours qu'il s'agit de réinventer, seules la tendresse, l'imagination et la parole sont créatrices".