Invité dans le cadre des Conférences Culture et Christianisme, Gabriel Ringlet parlera des questions que pose l'avenir de la foi et de l'espérance chrétiennes dans le monde contemporain. Prêtre, poète et théologien, journaliste intervenant fréquemment dans la presse écrite et à la télévision, écrivain et vice-recteur de l'Université de Louvain, il a une même passion pour le monde actuel et pour l'Evangile de Jésus Christ. Le best-seller paru en 1998 sous le titre "L'évangile d'un libre penseur. Dieu serait-il laïque ?" lui a valu une notoriété internationale illustrée par le prix du Syndicat des libraires de littérature religieuse, et a soulevé une féconde controverse au sein de l'Eglise catholique.
Il faudra beaucoup d'audace au conférencier pour traiter les questions figurant à l'affiche. Comment retrouver l'inspiration créatrice de l'Evangile sous l'amoncellement des croyances héritées du passé et érodées par le temps ? Se vouloir croyant dans le monde contemporain, est-ce d'abord proclamer les perfections divines, ou est-ce s'engager pour l'homme en le considérant comme habité par Dieu ? Le christianisme peut-il encore, après deux mille ans d'histoire, apporter un message originial et crédible sur la condition humaine et sur Dieu ? Quel pourrait être le visage de Jésus Christ dans le cadre d'une modernité qui récuse les dogmatismes et les institutions qui les véhiculent ?
G. Ringlet n'est pas de ceux qui condamnent le monde d'aujourd'hui en rejetant sur la modernité les difficultés que rencontrent les Eglises. Dans l'interview qu'il nous a donnée, il explique que la déchristianisation résulte pour une large part du fait que les Eglises n'ont pas su accompagner les hommes des temps actuels sur les chantiers où se construit notre avenir. Il regrette qu'elles aient "trop tendance à ne se préoccuper que des ouailles qui leur restent", en se contentant de "répéter des formules passées comme si elles possédaient de droit et de fait la vérité éternelle, et d'imposer des normes comme si l'éthique pouvait être définie une fois pour toutes, indépendamment de la vie". Les chrétiens ne seraient-ils que "les survivants d'une religion révolue, des condamnés en sursis qui, au nom d'une certaine fidélité, essayent obstinément de sauver un héritage obsolète" ? Certainement pas, mais l'Evangile invite les Eglises à rejoindre les hommes là où ils se trouvent, et à les accepter tels qu'ils sont, avec leurs interrogations et leur part de vérité. "Ils ne sont pas tous des égarés qu'il faudrait ramener dans le giron des institutions traditionnelles", mais il faut collaborer avec eux pour inventer le monde de demain et faire habiter Dieu dans ce monde-là.
En tant que poète, G. Ringlet n'est pas un doux rêveur, mais un créateur de monde qui imagine demain et se bat pour que la parole l'emporte sur le chaos. L'actualité et ses terribles conséquences ne lui échappent pas : "On peut ne voir dans nos villes que le bitume et le béton, le fric, le sexe et la fureur. On peut ne voir dans notre histoire actuelle que l'engloutissement du monde entier dans l'aveugle et violente marée d'une mondialisation qui sacrifie les hommes à l'argent. On peut ne voir qu'une hideuse inhumanité qui nous guette partout." Mais l'homme qui ne voit que cela et se contente de le condamner "passe à côté de l'essentiel". G. Ringlet invite à regarder ce monde avec le regard de Dieu, pour réaliser l'impossible : "Faire advenir Dieu sur notre terre, enfanter et sauver Dieu parmi les hommes". Il ne s'agit pas de paroles vaines, mais de combats à mener en chacun de nous et sur tous les fronts de la vie sociale : "au service des hommes, et particulièrement des plus humbles parce que leur faiblesse est habitée par Dieu". Il appartient aux croyants d'aujourd'hui de réinventer l'Evangile de manière à ce qu'il redevienne, réellement, "l'annonce d'une possible libération pour l'homme aliéné par l'homme et par les dieux qu'il se fabrique". Mais cela ne se pourra qu'à travers une subversion des valeurs et des pouvoirs établis, avec les risques que cela implique, dans le sillage d'un certain Jésus de Nazareth qui a connu le sort que l'on sait. Une telle espérance oblige les chrétiens à "s'interroger de façon radicale sur la foi et l'espérance qu'ils professent, en libres penseurs de leur temps". Il leur faudra "retrouver l'esprit des béatitudes, réinventer la bonne nouvelle de l'Evangile face aux problèmes et dans le langage de nos contemporains, et repenser les structures ecclésiales en conséquence".
Les responsabilités des Eglises demeurent essentielles dans ce cheminement. Elles auront d'abord à accepter que "la chrétienté est morte, et que la société laïque qui lui succède est riche de beaucoup de valeurs nouvelles venues s'ajouter aux valeurs judéo-chrétiennes du passé". L'avenir est exigeant, et la réalisation de ses promesses passe inévitablement par de douloureux renoncements : "Pourquoi les Eglises devraient-elles combattre cette sécularisation et se garder du monde profane comme si elles pouvaient exister ailleurs ? L'Evangile nous enseigne que le salut passe par la mort, et que c'est en se perdant que la vie peut se renouveler. En irait-il autrement pour les Eglises ?" En d'autres termes, elles ne survivront qu'en se jetant dans la vie, en donnant la priorité au service des hommes d'aujourd'hui et de demain, avec audace et générosité, avec la liberté qu'exigent les nouveaux départs. Il ne faut pas qu'elles restent prisonnières de leur héritage, trop encombrées de "leur patrimoine historique, leurs bâtiments, leurs institutions, leurs rituels et le faste de leurs cérémonies", et obnibulées par le souci du maintien de leur influence dans le monde en termes de pouvoir sur le monde. Le dépassement des problèmes actuels des Eglises ne réside pas dans de nouvelles stratégies médiatiques, ni dans des réaménagements conjoncturels des institutions, ni dans la fuite en arrière repris le premier jour et que prônent les mouvements identitaires et intégristes. Depuis le premier jour et jusqu'à la fin des temps, l'unique raison d'être des Eglises est de démoigner de "l'infinie dignité de Dieu et des hommes, et de l'étonnante immensité du mystère de l'Incarnation". Leur seule vocation est d'annoncer cet Evangile qui est "la bonne nouvelle toujours nouvelle, fille de Dieu parmi les hommes, forte et fragile comme l'amour, resplendissante comme la vie et humble comme la mort, libre comme un enfant au matin de la création".