Les Conférences Culture et Christianisme recevront le 23 Mai 2008 à Altkirch, à la Halle au Blé, à 20h, Jean-Bernard Livio, jésuite, bibliste et archéologue
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Jean-Bernard Livio, qu'est ce qui a mobilisé les premiers archéologues partis en Palestine ?
A la fin du XIXe siècle, l’intérêt pour la Bible est relancé par une analyse du texte des livres saints remis dans leur contexte, ce que les biblistes allemands appelèrent le « Sitz im Leben ». Du même coup, on cherche à relire ces mêmes écrits sur le terrain, des centres d’études bibliques se créent en Terre Sainte. Pour les occidentaux qui débarquent ainsi, le choc est grand : ils voient le cadre dans lequel se sont déroulés l’histoire biblique, ils découvrent le mode de vie de ses acteurs, pour eux restés le même depuis des siècles. La découverte des us et coutumes de la vie des bédouins fut par exemple pour le P. Lagrange, fondateur de l’Ecole biblique et archéologique française de Jérusalem, une stimulation pour inviter ses étudiants à visualiser le contexte dans lequel vivaient les prophètes de l’AT et Jésus et ses disciples. On inventait ainsi l’archéologie biblique, avec l’immense danger dont on ne prit conscience que beaucoup plus tard, de faire chercher dans le sous-sol palestinien les preuves que la « Bible a dit vrai » - titre d’un ouvrage qui résume bien cent ans de quête archéologico-biblique : « Und die Bible hat doch recht », Werner Keller, 1955.
Qui sont les archéologues aujourd'hui sur le terrain? Quel est leur rapport au Livre, à la foi , à la politique régionale ?
Plutôt que de citer des noms, il y en aurait trop à mentionner, je préfère répondre sur ce qu’est devenu l’archéologie en Israël/Palestine. Une science historique, au même titre que l’analyse de texte, la linguistique, l’onomastique, par exemple. L’archéologue fouille le terrain, le lit avec la plus grande minutie, et en tire des conséquences. Il agit comme l’inspecteur de police criminelle, accumulant les indices, pour comprendre ce qui s’est passé. Bien sûr, qu’on ne peut entreprendre des fouilles dans ce Pays sans une bonne connaissance du texte biblique. Mais j’en dirais autant de la nécessité de connaître les auteurs anciens comme Flavius Josèphe, longtemps décrié par les scientifiques comme juif récupéré par le pouvoir romain et écrivant pour se dédouaner, alors qu’il est un formidable témoin d’une réalité vivante de la fin du 1e siècle palestinien. Tout naturellement l’archéologue va confronter alors les résultats de ses recherches avec les affirmations de la Bible, mais il devra continuellement veiller à l’objectivité de sa lecture. Donner plus d’importance à la découverte d’une synagogue du 5e-6e siècle qu’à celle d’une église, relève d’une déformation politique qui frise la malhonnêteté et semblerait rejoindre la manipulation de l’Histoire que font trop souvent les gouvernements pour défendre leurs options politiques. De même, annuler la valeur du texte biblique sous prétexte que l’on n’a pas de preuves archéologiques de ce qu’il propose, va à l’encontre du sens symbolique de ce même texte. On ne lit pas le terrain comme on lit un texte avec les mêmes lunettes. Les trompettes de Jéricho n’ont jamais été découvertes certes, ce qui oblige le bibliste a relire le texte pour ce qu’il voulait dire dès sa rédaction, à savoir que l’aventure de Josué nous renvoie à une réalité de toujours : Dieu fait tomber les murs de nos fermetures. L’archéologue n’a pas besoin d’avoir la foi pour faire correctement son travail, mais il a besoin d’une bonne dose d’humilité pour situer ses découvertes dans la symphonie des interprétations de l’Histoire, à l’écoute d’autres voix qui jouent d’autres instruments.
Si le récit des événements n'est pas historique, comment sont nés les textes de l' Ancien Testament ?
Aucun texte de la Bible ne répond aux critères de véracité qu’on attendrait d’un rapport d’expertise ou d’une enquête journalistique d’aujourd’hui. Les auteurs des livres bibliques sont guidés par une volonté de transmettre à leur lecteurs leur expérience de Dieu. Ils le font dans le contexte et dans la culture de leurs lecteurs, et non en rendant l’ambiance de l’époque des événements qu’ils décrivent. Lorsque les rédacteurs des événements de la sortie d’Egypte rédigent leurs textes, c’est pour inciter les habitants de Palestine, voire les exilés à Babylone (c’est-à-dire plus d’un demi-millénaire plus tard) à ne pas baisser les bras. De même que DIEU a libéré nos pères du pays de l’esclavage, de même DIEU continue à libérer le peuple qui l’adore. N’oublions pas, nous autres occidentaux cartésiens, que les langues sémitiques, celles de la Bible, ne savent pas exprimer l’abstraction ; pour dire leur réalité, elles racontent en petites histoires, ce qui a un pouvoir imaginaire sur le lecteur et lui en facilite la mémoire.
Quelle est la force du message de ces textes, pour traverser ainsi les siècles et les cultures ?
J’aurais envie de répondre que cette « force » tient précisément au fait que ces textes ne sont pas « historiques », mais qu’ils ont valeur universelle et pour tous les temps. La sagesse qui s’en dégage peut être directement appliquée à un autre contexte, une autre époque, une autre culture. C’est précisément le travail du bibliste, qui prenant la relève de l’exégète (l’archéologue des mots) va redonner du sens aux récits anciens en en proposant une lecture dans le contexte d’aujourd’hui.
En quoi les chrétiens peuvent-ils être concernés par cette relecture des textes ?
D’abord parce que l’enfant qui sommeille en chacun d’entre nous aime les histoires, les personnages riches en couleur, les anecdotes pleines de rebondissement. Ensuite parce tout homme a envie de comprendre ce qui le précède non pas seulement dans une lecture chronologique de son histoire de famille, mais dans cette intelligence qui fait saisir le pour – quoi les choses se sont passées ainsi. L’Histoire de France, telle que nous l’avons apprise est une succession de noms de rois et de dates de batailles. Y a-t-il durant toutes ces périodes aucun petit berger, aucune femme pleine de bon sens, qui ne méritent d’être cités pour l’exemplarité de sa vie ? La Bible ne retient guère les faits et gestes des « grands » de ce monde, si ce n’est pour nous rappeler que les plus forts n’ont pas toujours le dernier mot. Ne serait-ce que pour cela, il est bon de continuer de raconter l’historie du petit David et du géant Goliath. Et pour le chrétien, ces « histoires » sont aussi et surtout celles de sa propre famille, puisque le Christ, dont les chrétiens portent le nom, est un certain Jésus, juif de Palestine.
Propos recueillis par Jean-Marie Wilhelm