Guy COQ Trouver du sens dans un monde qui se cherche

Compte rendu de la conférence donnée par Guy Coq
A la Halle au Blé d'Altkirch, le 16.03.2007


1. Les sources de la crise de sens

La grande mutation qui affecte le sens aujourd'hui concerne son lieu de production, qui s'est déplacé de la société à l' individu. L' individu n' accepte plus de se voir dicter un sens tout fait et transmis de génération en génération, mais il veut pouvoir le formuler lui-même: c' est le propre d' une société démocratique qui, se voulant autonome, refuse d' être dirigée d' ailleurs, dénie à Dieu de pouvoir conduire les états et nous protège contre cette confusion des pouvoirs qui s' avère inhumaine, toujours meurtrière. La société démocratique autorise donc l' individu à décider par lui-même, sans contrainte, sans dépendance du passé. Au risque pour lui de vouloir tout créer, tout recréer à partir de rien, comme s' il était son propre père (Sartre), ce qui s' écarte de la condition humaine. Au risque aussi de mettre en crise les systèmes de sens existants (famille, religion, institutions) et aussi de transmission. Au risque enfin de comprendre la laïcité comme un espace de neutralité stérile, alors qu' elle suppose au contraire l' accueil de valeurs communes obligatoires.

2. Les questions de sens

La question du sens concerne d' abord les questions ultimes: D' où venons-nous? Où allons-nous? Qui sommes-nous? Ces questions ne comportent aucune réponse scientifique, objective, alors même qu' en chacune de nos vies nous avons à y répondre et nous y répondons par nos manières de vivre, sans d' ailleurs toujours savoir ce que nous répondons.
La question du sens concerne aussi notre place dans le monde, dans la société, (intégrés ou exclus), nos liens affectifs (l'être aimé reconnaît l' amour comme sens), nos certitudes fondamentales (valeur de vivre, d' exister) et nos engagements sur les valeurs. Le sens peut comporter des ambiguïtés: il peut être positif (m'invitant à penser la vie comme bonne...) ou négatif (me poussant vers la mort); il peut être reçu (accepté ou refusé) ou crée: l' individu crée certes du sens, mais pas tout le sens! La question du sens nous renvoie aussi à la dualité entre sociétés, également porteuses de sens ( institutions, fonctions, lieux sociaux) et personnes qui pensent vouloir décider par elles-mêmes, charge qui certes responsabilise, mais qui s' avère aussi parfois très lourde à porter et pleine d' exigences...Quant au sens collectif, nous avons vécu la fin des grandes interprétations englobantes et des utopies, mais les sociétés peuvent-elles se passer de sens?

3. Pour une culture de l' engagement et de la personne

Pour Emmanuel Mounier, P.L. Lanzberg, Sartre.. l'engagement fait partie de la vie humaine, ancrée dans l'histoire; il en est une condition d'humanisation; le citoyen doit être actif dans la société. L'engagement ne consiste pas à adhérer à des causes parfaites (aucune ne l'est), mais à se solidariser de causes certes imparfaites en adhérant à des valeurs personnelles fortes, défendues avec conviction, contrairement aux opportunistes. L'engagement suppose le renoncement à tout savoir préalable; au contraire il dévoile le sens de l'action, la vérité d'une situation n'étant accessible qu'en participant intégralement à sa structure.
Or, les individus suspectent nos sociétés démocratiques de contraintes, d'atteintes à la liberté et se retranchent en eux-mêmes au risque de s'écrouler, de déprimer. La liberté de chacun a en fait besoin de la liberté des autres; on ne peut être libre qu'ensemble. Accepter que la liberté est donc une affaire de collectif est un prérequit à la vie sociale.

4. Pour un nouveau rapport à l'Histoire

Par nature nous vivons dans la durée; or pour l'homme contemporain seul compte le présent: le nouveau est considéré désormais comme meilleur que ce qui précède, le bougisme remplace le progrès: Harry Potter est-il mieux que l' Odyssée parce que simplement plus récent? L'héritage qui nous est donné comporte pourtant des valeurs qui ont mérité de durer longtemps: le passé serait-il négligeable parce que passé? Or l'homme se définit dans la durée: pour dire " Qui suis-je ", il récite sa vie, son temps qui lui permet de se comprendre et de découvrir qui il est. De même l'actualité n'a de sens que située dans le temps, en rupture ou en continuité.
L'espérance est une position par rapport au temps, à l' avenir, se fondant sur le fait que l'aujourd'hui ne dure pas. Le vingtième siècle a vécu de grandes expériences collectives, de grandes utopies populaires, l'attente d'un bonheur à construire ici: on a évacué l'espérance avec les utopies... Il nous faut reconstruire de l'espérance sans utopie, car nous sommes coresponsables de la construction de l'avenir.
Le lien social se fragilise et la société ne sait plus dire le commun. Qu'est-ce qui nous lie en une même société? Sûrement pas l'économique, mais le "faire" en commun, la conscience d'avoir un passé en commun, un récit de la société qui peut faire mémoire à travers son histoire et sa géographie. Il nous faut faire du sens de l'histoire, sauver le meilleur de la civilisation, voire le meilleur des civilisations.

5. La contribution des chrétiens

Nos sociétés ne seront plus jamais chrétiennes. Mais alors?
Pour M. Gauchet, (qui ne se dit pas chrétien) " la démocratie parvenue à une neutralité complète a besoin d'une scène publique de doctrines ultimes...La question posée est de trouver un langage adapté pour véhiculer ce que la foi chrétienne peut légitimement ambitionner d'apporter à un espace non religieux". Il appartient donc au christianisme de s'inscrire à nouveaux frais dans la société contemporaine, si différente et de ne pas rater aujourd'hui le dialogue avec la culture. C'est dans ce rapport avec la culture que se construiront les médiations qui éviteront au christianisme de devenir dans cinquante ans une espèce de fable à la manière des dieux grecs ou latins... Il faut répondre aux appels à débat, aux quêtes de notre temps.