L'avenir du Christianisme en France
Conférence de Henri Tincq à Altkirch le 7 avril 2005


Merci  de la présentation Père Schillinger. Merci d'être venu me contacter à Paris.
Pour moi, venir rencontrer des auditeurs, des lecteurs, c'est toujours extrêmement utile pour ma Pratique personnelle. C'est très utile de faire resurgir pour votre vie religieuse ce que vous ressentez de la vie religieuse dans les médias.
Merci de votre l'accueil en Alsace.

Je voudrai m'excuser de ce retard. C'est le 8 avril que je devais être ici, mais vous l'avez dit le 8 avril l'actualité me retenait à Rome. Je ne peux pas faire ce travail de réflexion à propos du christianisme en France et dans le monde sans commencer avec ce qui s'est passé à Rome. Beaucoup de choses ont bougées en un mois. Il y a eu un événement médiatique extraordinaire : la mort de Jean-Paul II.

On a tout dit sur ce pape et je ne vais pas ici refaire le bilan de ce pontificat.

Je voudrai à travers ce qui vient de se passer poser un certain nombre de questions sur l'état des lieux du Christianisme en France aujourd'hui. Je voudrai d'abord partager l' émotion qui était la mienne à Rome; Trois scènes d'émotion encore présentes dans ma mémoire.

1ère scène : l'agonie de Jean-Paul II vécu presqu'en direct par le monde entier . Le personnage du chef de l'Eglise catholique disparaît derrière la figure exceptionnelle du personnage avec un destin exceptionnel. J'étais au milieu de la foule à la Place Saint Pierre et on sentait qu'il se passait quelque chose dans la demeure du pape. Il y a ce rapport entre cette foule qui priait sans excitation, sans démonstration et la scène de la mort qui se passait très près de là. Il y avait une espèce de fil indirect entre la place et la chambre.

2ème scène
:  les obsèques.  Cela nous interroge. On est parfois pessimiste sur l'avenir de nos églises. On dit qu'il n'y a plus d'intérêt, de l'indifférence profonde sur ce qui se passe dans les églises. Et voilà, tout à coup, un événement extraordinaire. Le monde entier s'arrête de vivre. Il y avait une espèce de suspension dans le temps autour de ce cercueil. Là aussi c'est quelque chose d'assez fort. Cela me faisait rêver au monde unifié; cette figure universelle qui réconciliait  les hommes  pour une fois tout en sachant que cela n'allait pas durer. La réunion des fidèles, de chefs d'états et des chefs de toutes nos églises et religions monothéiste, ou pas . C'était un instant de grâce autour d'une personne;
Cela me conduit vers une certaine modestie dans le métier que j'exerce : le journaliste est aussi un témoin  et je n'ai pas pu m'empêcher de penser que tout ce que j'ai pu écrire sur ce pape, les 53 voyages que j'ai fait avec lui, que tout ce que j'avais écrit à savoir que cet homme aurait du démissionner s'est relativisé. Il a incarné une proximité avec l'homme malade, l'homme souffrant avec l'homme handicapé. Je  mesurais tout le travail que j'avais pu faire, les bêtises que j'avais pu écrire. Quand on est journaliste, on est très critique on a la logique des hommes mais là il y avait la logique de Dieu   . Elle était là dans cette réunion extraordinaire du monde entier autour d'un cercueil

3ème scène
: l'élection du nouveau pape.
C'est vrai que le cardinal Ratzinger faisait un peu figure d'épouvantail. Dans le milieu protestant on sait le poids de la discorde qu'il peut y avoir sur les écrits qu'il a publié en tant que préfet de la congrégation de la doctrine de la foi. J'ai envie de dire que l'élection de Ratzinger ne m' a pas surpris. La nouvelle de sa possible élection revenait des Etats-Unis où Ratzinger impressionnait les milieux américains. Quand j'ai lu cela au mois de décembre dans la presse américaine je me suis dit, c'est une folie, on ne va pas élire Ratzinger comme  pape. Ce n'est pas possible! Et puis,  j'ai réfléchi. Je me suis dit c'est une hypothèse possible pour trois raisons :

  1. C'est l'homme de la continuité
  2. C'est l'homme de la fidélité à Jean-PaulII. On l'a vu  dans les dernières semaines. Il a toujours été là. Il  ne s'est mêlé d'aucun débat sur la médication médiatique , sur sa démission. Pourtant, beaucoup de cardinaux se sont mêlés disant que le pape devrait désigner un successeur, devrait démissionner. Ratzinger est resté d'une dignité  extraordinaire. Le pape lui avait confié la plupart des manifestations de la semaine sainte.
  3. C'est l'homme de la sécurité. Les cardinaux qui avaient à élire le nouveau pape avaient une tâche énorme. C'était la 1ère fois depuis 26 ans . Des hommes qui n'avaient jamais participé à ce type d'élection. Des hommes qui se connaissaient à peine. Des hommes qui  avaient , qui ont une incertitude sur l' avenir , ce qui est une réaction très humaine. J'en parlais avec le cardinal Lustiger, avec un des plus jeunes cardinaux Barbarin de Lyon, tous m'ont dit leur inquiétude. Le cardinal Ratzinger est l'homme qui rassurait, c'était le doyen du Sacré-Collège.

Lorsque des journalistes comme moi de temps en temps se risquaient à lancer des hypothèses sur un pape latino-américain, asiatique ou africain, on nous  regardait avec un certain mépris en disant, c'est le choix de l'aventure, ce qu'il faut à l'église aujourd'hui - on peut en discuter - c'est le choix de la certitude, c'est le choix de la sécurité dans les orientations. vous avez affaire en France, en Allemagne à des églises qui sont prises au piège d'une sécularisation excessive. Votre président l'a évoqué tout à l'heure. Il y a la volonté des groupes pentecôtistes sans rapport avec les grandes églises  protestantes traditionnelles d'Amérique du Nord. Ce sont les groupes évangéliques qui sont très nombreux et qui menacent la suprématie numérique tout au moins en Amérique du Sud. Danger en Afrique, avec la montée de l'Islam. Danger en Asie, la difficulté du christianisme de se faire une place en dehors des places traditionnelles que sont les Philippines ou le Viet Nam à cause de la colonisation française. Mais le christianisme en Asie c'est 2 ou 3 cents personnes pas plus;
Pour les responsables d'Eglise comme l'Eglise catholique, il y avait une sorte de sécurité  d'aller chercher  un homme comme Ratzinger, qui incarne la garanti, la certitude de la doctrine. Opnpeut regretter ce choix au point de vue oeucuménique. Mais le fait est là, c'est ce qui a été ressenti et qu'il faut prendre comme tel surtout - ce qui m'a été dit et répété à Rome pendant ces mois , c'est que le Cardinal Ratzinger était vraiment de très loin la personnalité intellectuellement et spirituellement  indiscutablement supérieure à tous les autres cardinaux.
Ce choix là était aussi d'une certaine manière logique. Maintenant qu'est ce qu'on va faire ?
Je ne suis pas de ceux qui me prononce déjà sur ce que la pape va devenir, en fonction de ce qu'il a déjà fait.
Je ne suis pas de ceux qui disent qu'il prolongera le cardinal Ratzinger et qu'on entrera dans une période de tassement théologique ou oecuménique.
Je ne suis pas aussi pessimiste que cela. Il est trop tôt pour faire un bilan.
Je voudrai dégager 5 points sur lesquels tous les chrétiens sont invités  à réfléchir qu'ils
Soient catholiques ou réformés.



I. La décentralisation

Il y a aujourd'hui un besoin de décentraliser le pouvoir romain. Il y a quelque chose à ce niveau qui se passe. Le nouveau pape donnera-t-il un style d'ouverture ?
Va-t-il garder la priorité du pouvoir romain ou faut-il davantage de souplesse dans le fonctionnement des Eglises par rapport à Rome. On rencontre trop d'évêques de part le monde  qui disent que les règles de la collégialité  instaurées par Vatican II n'ont pas pu fonctionner sous Jean-Paul II de manière aussi idéale qu'on aurait pu le  souhaiter.
C'est particulièrement vrai pour les nominations d'évêques. On a le sentiment que le peuple de Dieu n'est pas associé aux nominations des évêques. Il y a un vrai problème pour les chrétiens d'aujourd'hui.
Et puis, l'inefficacité de synodes. Dans la tradition catholique les synodes ne donnent pas de résultats. Ce sont des assemblées qui ont lieu à Rome ou dans les diocèses et qui sont des chambres d'enregistrement d'un certain nombre de voeux et qui ne sont jamais efficaces ou rarement.
Sous Jean-Paul II, est souvent intervenue cette critique d'une centralisation excessive qui prend les décisions.
 C'est vrai que le charisme de Jean-Paul II était de voyager, de soutenir les églises locales. A cet égard,  son oeuvre est exemplaire.
Mais, c'est vrai qu'il y a un certain nombre de problèmes qui ont été bloqués par la curie romaine dont le pouvoir est beaucoup trop important.
Les évêques français se plaignent souvent de cette espèce de suprématie, de cette domination qu'on essaye d'exercer sur leur propre terrain, à l'intérieur de leur diocèse.
Alors, les problèmes se posent. La vie de l'Eglise doit traiter des problèmes qui se posent inévitablement. Ces problèmes sont connus, identifiés, ce sont ceux qui reviennent souvent dans le voeu des fidèles quand il y a des synodes.
Problèmes qui ne sont jamais discutés entre évêques malheureusement comme par exemple l'accès à l'Eucharistie des couples divorcés, remariés, le problème d'ordonner comme prêtres des hommes mariés
Toutes ces questions d'ordre oecuméniques : jusqu'où faire des rapprochements avec les autres chrétiens séparés.
Je crois que là il y a des blocages. Le nouveau pape sait qu'ils existent. Aura-t-il le pouvoir, la latitude de les résoudre ?
Ce qui est souhaitable, c'est qu'on puisse en débattre, en débattre c'est l'affaire de tous les chrétiens, c'est l'affaire des synodes. Il faut retourner aux instances de dialogue , de concertation des espaces de voies de souplesse.
Est-ce que Benoît XVI sera sensible à ces demandent qui visent à la décentralisation ? C'est une des  questions qui se posent pour demain. On ne peut pas continuer à fonctionner dans un même monde,  les décisions sont de plus en plus partagées et la collégialité est mieux organisée.

II. Combler le divorce avec la société moderne

Ce divorce, vous le connaissez, j'en cite 3 données.

  1. Le décrochage quant à la pratique religieuse, pas seulement la pratique dominicale, mais toute la pratique sacramentelle.
  2. L'éloignement, la non-application des normes morales de la vie telle qu' elle est définie par l'enseignement de l'Eglise. Il y a une distance qui se prend.
  3. Le scepticisme qui gagne le monde y compris le monde des croyants par rapport à un certain nombre d'énoncés de la foi. Tous les sondages le manifestent. On n'est pas obligé de croire aux sondages mais les chiffres sont là. Dans un pays comme la France on est passé de 40% de pratique après la guerre à moins de 10%. C'est un chiffre national. Je sais qu'en Alsace cela résiste mieux. Mais c'est un vrai problème.

Même si les baptêmes adultes sont en augmentation - c'est important de le noter - c'est un signe positif, il y en a 3000 par an - le nombre de baptisés a chuté : de 80% en France dans les années 50 à 60% aujourd'hui. J'étais en Allemagne la semaine dernière  : on avait des chiffres pareils de décrochage. C'est un signe fort.
Quant à la déclaration d'appartenance à une église, moins des 2/3 des français se déclarent aujourd'hui catholiques, ils étaient plus de 82% ay début du pontificat de Jean-Paul II.
A cette moindre demande religieuse, il faut ajouter ce que j'appelle une certaine désobéissance des fidèles par rapport aux positions de leur Eglise :
Désobéissance par rapport aux discours sur la contraception, sur la cohabitation en dehors du mariage, sur la procréation médicale assistée. Il y a un phénomène de décrochage qui se produit. Il y a un fossé qui se creuse entre ce que dit le magistère et la réalité que vivent les couples ou les médecins. C'est un  problème devant lequel il faudra bien un jour réagir. Ou bien, c'est le discours de principe qui ne peut plus être connu ou bien ce sont les croyants qui se coupent de ce que dit le magistère.
Il y a aussi un scepticisme par rapport à un certain nombre de dogmes, par rapport à de grandes vérités tenues pour définitives : la résurrection, la définition de Jésus comme Fils de Dieu. Ces vérités aujourd'hui ne vont plus de soi, même chez les fidèles. C'est le sens de la révélation qui est en cause . La foi et l'acte moral ne se font plus sur des dogmes imposés par une autorité extérieure, mais sur une liberté de conscience toujours davantage postulée.
C'est cela le changement de l'univers religieux.
C'est cela la sécularisation qui devient massive et qui s'exprime par la montée de l'individualisme, l'indifférence et de ce relativisme que le cardinal Ratzinger a dénoncé.

La question qui se pose est la suivante    :
Quelle est l' alternative ?
Est-ce que l'Eglise , pour prendre l'Eglise catholique , pourra tenir un langage différent ? Changer sa position sur quelques principes fondamentaux ?
Peut-elle répondre à la demande du sens autrement que par répartition d' intérêts et de norme surtout pour la jeune génération ?
Voilà une des tâches qui nous attendent pour l'avenir. Des appels sont régulièrement lancés pour adapter le christianisme à la modernité. Comme vous, je suis sensible aux risques qu'il y a de transformer le christianisme en une sorte de vague  humanisme.

Il y a trois clefs sur ce terrain là :

  1. La reconnaissance sans  arrière-pensée des pluralismes, des options éthiques et religieuses. On ne peut pas faire comme si ce pluralisme n'existait pas.
  2. Le refus de la privatisation de la foi et de la marginalisation des Eglises. Il faut se battre. Au moment de l'affaire du voiles les Eglises ont fait entendre leur voix en disant qu'il ne faut pas être méprisé, on a une parole à donner à la société, on a une tradition à défendre, on a une position sociale , une histoire que le reste de la société ne  peut pas ignorer.
  3. L'église doit jouer son rôle de contestation des fondements de la culture de la société et de l'éthique. Il y a des combats qui peuvent paraître des combats d'arrière-garde. C'est le rôle de l'Eglise de jouer la contestation dans certains nombre  de libertés, de droits. Tous les droits ne sont pas permis. Il n'y a pas d'égalité systématique. Mais de toute façon, la foi chrétienne ne peut pas être pensée comme un système rigide, fermé, opposé à d'autres vérités concurrentes; elle  doit tenir compte que le fait chrétien peut être minoritaire aujourd'hui dans le monde.

J'ai terminé mes 2 premiers points à savoir : d'abord la nécessité  de faire jouer davantage les circuits de la parole dans le fonctionnement des Eglises. Une Eglise ne peut pas être une institution centralisée, autoritaire, où tout part de Rome d'une manière pyramidale. Il y a des progrès à faire de ce côté là. Mon deuxième terrain, c'est la société moderne.

III Les ministères

C'est mon troisième terrain. La question des ministères est grave. Ce n'est pas seulement la question  touchant les paroisses catholiques. C'est une question qui s'adresse à l'ensemble de la société. Combien de fois on a mis en exergue le scénario d'une Eglise catholique sans prêtres, c'est vrai les pays comme la France, l'Allemagne, même l'Espagne ne sont plus des pays d'une richesse extrême en vocations sacerdotales. Il y a des Eglises du Tiers Monde qui disent que la situation n'est pas si mauvaise. En Afrique les séminaires sont pleins. J'accepte cette observation. Mais vous savez aussi qu'à Paris il y a déjà des prêtres africains qui viennent assurer le ministère La question n'est pas nouvelle, elle s'accentue.
L'autre jour l'évêque d'Evreux me disait qu'il a actuellement 80 prêtres en activité., dans 5 ans il n'y en aura plus que 25. C'est le goulot d'étranglement. On ne voit pas la sortie de la crise.
La France ordonnait 1000 prêtres par an  dans les années 50 , elle en ordonne aujourd'hui environ 100 depuis 20 ans.
Le clergé catholique était composé de 41 000 prêtres en 1950, il n'en est plus qu'à la moitié dont les 2/3 sont âgés de plus de 60 ans. Vous connaissez tous des prêtres surchargés de paroisses, - moins vrai en Alsace - mais c'est une lourde charge. Je suis toujours frappé par l'immense dévouement  de ces prêtres qui se dispersent et rendent des services énormes, aidés par des laïcs et cela c'est un phénomène qui rend espoir. C'est quand même humainement parlant une charge lourde à porter.
Alors pourquoi cette baisse qui continue ?
Les raisons de cette baisse pèsent sur les jeunes croyants. La question est sociale. Il y a le célibat. Mais tous les spécialistes disent que si on permettait  le mariage des prêtres cela ne règlerait pas la question de la crise des ministères.
Il a y la pédophilie.
C'est plus profond que cela . C'est une crise d'identité su prêtre et du ministère ordonné qui touche la France et au-delà de la France.
Tous les efforts fait pour la formation des laïcs pour leur confier des responsabilités buttent sur cette réalité. Les besoins spirituels et sacramentels ne peuvent plus être assurés. L'appel à des prêtres africains et polonais n'est qu'un palliatif.

Alors que faire ??

C'est le chantier qui va s'ouvrir au nouveau pape. La solution sera peut-être d'ordonner prêtres où diacres, des hommes d'expérience célibataires , ou mariés appelés par l'évêque ou choisi par leur communauté. C'est une question posée. C'est une hypothèse qui court dans la tête d'un grand nombre d'évêques. Le débat n'a pas été soulevé au moment du concile. Mais aujourd'hui compte-tenu  des besoins qui sont immenses, la question est posée.
L'enjeu est la présence et le rayonnement de l'Eglise dans les 10 ans à venir; Son  maillage institutionnel, l'animation des communautés, l'avenir de l'évangélisation est en cause.
La fin de la loi du célibat n'est pas la panacée, mais cette loi écarte du ministère nombre de jeunes qui ne peuvent pas l'accepter.
Le célibat consacré rend le prêtre complètement disponible à Dieu et à son ministère. Mais ce n'et pas un article de foi, ce n'est qu'une discipline variable dans le temps et l'espace qui n'et plus compris par l'homme d'aujourd'hui.
Sans faire d'érudition historique c'est un outil du 5ème siècle. En raison de la suppression du corps monastique que le statut du prêtre a commencé à être encadré. Mais les hommes mariés ont continué à être ordonnés prêtres et évêques jusqu'au 12ème siècle. C'est au Concile du Latran qu'a été déclaré l'invalidité du mariage des évêques et des prêtres après leur ordination.
Mais il faut savoir que dans l'église d'Orient unie à Rome les prêtres sont mariés .
Il me semble, et c'est la  pensée d'un certain nombre d'évêques que l'accès au ministère ordonné sera l'une des premières questions que le prochain pape aura à arbitrer.
La solution intermédiaire est l'élargissement des fonctions  du diacre et l'accès du diaconat aux femmes, ce serait un retour au premier temps de l'Eglise. Les diacres sont au nombre de 1325 en France alors qu'en 1970 ils étaient 11. On ordonne tous les ans plus de diacres permanents que de prêtres. Le concile Vatican II a restauré le diaconat permanent. J'écarte la question de l'ordination des femmes. Elle est hors débat. Sur le plan du magistère la question est bloquée par Jean-Paul II depuis 1994 . La question ne relève pas seulement de la discipline mais d'un dogme. Voilà le 3ème chantier de réflexion pour le pape  mais aussi pour nous chrétiens.

IV L'oecuménisme

Je sais que je suis en Alsace , une terre où l'oecuménisme se pratique. Je sais qu'il y a beaucoup de réformés dans cette assemblée et je m'en  réjouis de les rencontrer.
Mais il y a aussi des progrès à faire et des réflexions à faire avancer;
Le nouveau pape a dit à plusieurs reprises qu'il comptait bien faire bouger les choses. Il a dit à plusieurs reprises qu'il  ferait des gestes forts. Il a salué la réunion du synode de l'Eglise réformé de France au  mois dernier. C'est un geste symbolique intéressant. Mais on attend beaucoup plus.
Est-ce que ce nouveau pape va prolonger le cardinal Ratzinger qui a écrit sur l'oecuménisme des choses qui  n'ont pas plu. Est-il capable de changer de position, de changer le discours de l'église catholique au moins de le ratifier  sur un certains nombre de points ?
Je vous rappelle que c'est lui qui a écrit Dominus Jesus, déclaration où il rappelait que seule l'église catholique avait le dépôt de la foi. C'est là que le dépôt de la foi était le mieux garanti. Cela avait fait  grand bruit à Genève et dans l'église réformée de France.
Cela a fait d'autant plus de bruit que le cardinal Ratzinger avait dit que les églises protestantes, parce qu'elles ne respectaient pas la succession apostolique ne méritaient pas d'être appelées églises mais simplement des communautés ecclésiales.
Cela était pris comme une marque de défiance : cela pouvait difficilement être autre chose de la part des protestants. On sait combien de progrès ont été faits depuis 30 ans sur le plan oecuménique. Il y a eu une période idéale du rapprochement oecuménique après Vatican II. :

Il y avait une sorte de climat fusionnel. On renonçait aux conflits du passé. On se pardonnait mutuellement les affaires commises entre Eglises. Mais pour le  dialogue oecuménique il faut être au moins deux et là il s'est produit des incidents graves.
Après la chute du communisme on surgit entre catholiques et orthodoxes des conflits de frontières et de juridiction dont on a oublié presque l'existence;
Souvenez-vous en Ukraine, de la révolution hongroise il y a quelques semaines ou encore en Roumanie où des communautés orthodoxes et greco-catholiques en sont venues aux mains.
Moi, je retiens comme une des pages les plus tristes du pontificat de Jean-Paul II que jamais, il n'ait pu se rendre à Moscou. Il a pu rendre visite à des synagogues, à des mosquées et n'a jamais pu rendre visite  à un pays aussi chrétien que la Russie.  Les orthodoxes russes se sont repliés depuis la chute du Mur au nom du réveil de l'uniatisme favorisé par le Vatican sans égard pour la Tradition orthodoxe millénaire. Cela a provoqué des ruptures considérables.
Avec les  églises protestantes,  avec l'accord signé en 1998 entre le Vatican et les Luthériens sur la justification de la foi un conflit historique a été en partie gommé à Augsburg. Mais il reste l'impossibilité rappelée par le cardinal Ratzinger de pratiquer l'intercommunion entre catholiques et protestants et de pratiquer des conciliations;
C'est quelque chose qui est incompris dans le monde non chrétien, cette espèce d'impossibilité pour des églises de pouvoir communier à la même table alors qu'ils partagent la même foi en Jésus-Christ.
Avec les anglicans le dialogue a été compliqué par la question d'ordinations des femmes prêtres. L'Eglise anglicane a accepté le principe d'ordonner des femmes et cela était mal vu par le Vatican.
Comment va-t-on faire avec tout cela maintenant ?
Comment tenter de renouer le dialogue avec l'orthodoxie notamment la grande orthodoxie russe ? Est-ce qu'on peut espérer qu'un jour le dialogue se renouera entre l'église orthodoxe de Russie et l'église catholique de Rome?
C'est une question qui devrait intéresser tous les chrétiens au nom de l'unité qui nous est demandée aujourd'hui. Comment prêcher un langage d'amour et d'amitié au nom du Christ si on n'est pas capable de communier à la même foi peut-être pas dans la même forme ? En tous cas , il y a des choses à faire.
En 1995, Jean-Paul II a lancé une perche dans son encyclique ut unum sunt «  qu'ils soient un »
Dans cette encyclique il disait qu'il avait conscience que le principal obstacle du rapprochement oecuménique était la primauté universelle du pape , il avait proposé une sorte de réflexion commune sur l'exercice de cette primauté universelle.
On peut espérer qu'un jour une table ronde va s'organiser. On n'imagine pas que le pape renonce à la primauté universelle, mais on peut imaginer qu'un autre exercice de cette primauté pourra se faire autrement que par cette autorité universelle que le pape Jean-Paul II a souvent rappelé d'une manière irritante pour les partenaires du dialogue oecuménique.
Le modèle d'unité entre les Eglises doit-il être fondé sur le pape comme le veut la tradition catholique où privilégier une ecclésiologie de communion ?
L'évêque de Rome est-il prêt a accepter une primauté  d'honneur, un rôle de coordinateur ou d'intercesseur sans les revendications de primauté mondiale ou d'infaillibilité personnelle  que les autres confessions ne reconnaissent pas ? C'est là l'autre grand débat  qui ne sera pas réglé à l'horizon du nouveau pontificat.
Comment le pape peut-il renoncer à son magister universel ? Qu'est ce qu'il est capable de concéder pour la cause supérieure de l'unité ? Comme limitation de son propre pouvoir ?
Acceptera- t-il que soit discuté la structure  de l'autorité catholique élaborée au deuxième millénaire jusqu'à Vatican I ?
Rome parviendra-t-elle à se définir autrement que comme un  centre et le pape à limiter son rôle à un patriarche d'Occident même premier parmi ses pairs . C'est de la réponse à ces questions que dépendra la réunification des familles chrétiennes.
L'oecuménisme est un terrain  permanent d'espoirs et de grandes déceptions.

V. La rencontre avec le judaïsme et l'islam.

Il faut rappeler que nos amis protestants ont commencé  le dialogue avec le judaïsme avant les catholiques.
La Conférence de Sigisberg après la guerre  qui réunissait des protestants de France et d''Allemagne  était la première ébauche avec le judaïsme. Vatican II , il y a 40 ans, dans sa déclaration «  Nostra aetate » de notre temps témoigne d'une reconnaissance des autres religions du judaïsme, de l'islam et des autres traditions;
C'est un changement d'univers religieux complet. Beaucoup de chrétiens n'acceptent pas ce changement ;il s n'ont pas accepté les réunions que le pape tenait à Assise. Il réunissait à 3 reprises les représentants des différentes grandes religions du monde. Les amis de Mgr Lefèvre, les traditionnalistes ont crié à la trahison, à l'apostasie. Ils n'ont pas accepté le dialogue avec les protestants à plus forte raison avec les juifs qui soi-disant ont tué le Christ; c'est un changement d'univers complet qui s'est produit; où en est-on aujourd'hui ?


a. le dialogue avec les juifs

Je crois que cela va mieux dans le dialogue avec le judaïsme que avec le dialogue avec l'islam qui lui est plus incertain.
Dans le dialogue avec le judaïsme , il y a eu des choses  étonnantes depuis _ de siècle; des étapes irréversibles ont été  fondées qui n'ont toujours pas été comprises par un certains nombre de chrétiens. Aujourd'hui, avec le temps les choses passent mieux.
Mais quand même, si on se souvient des proclamations de repentance , le mot a beaucoup frappé l'opinion quand le pape est allé demander pardon aux juifs pour les pages moroses de l'anti-judaïsme de l'église catholique. Il l'a fait à Rome , à Jérusalem. Les images sont encore dans toutes les mémoires. Souvenez-vous la première visite du pape à la synagogue de Rome; il a dit une évidence qu'il fallait rappeler «  vous les frères juifs, vous êtes nos frères aînés dans la foi en Dieu et dans la promesse faite à Abraham. En un sens vous êtes nos frères privilégiés. »
C'est des phrases fortes quand on sait d'où l'on vient; quand on sait les dominantes moroses dans les relations entres le christianisme et le judaïsme. Le nouveau pape lors de sa prochaine visite en Allemagne en août ira dans une synagogue à Cologne qui est la plus grande synagogue au-delà des Alpes;
- il y a la reconnaissance en lien de filiation historique et spirituelle
entre christianisme et judaïsme. L'effort fait par Rome pour que l'église retrouve ses racines juives expurge les textes de toute allusion anti-juive;
Lorsque j'allais au catéchisme on apprenait à peine l'histoire des juifs. Le catéchisme commençait à Jésus Christ. L'histoire du christianisme  a son origine évidemment dans ses racines juives;
Il y a la reconnaissance de l'état d'Israël. Cela n'a pas été facile. Le Vatican a reconnu Israël en 1994 J'ai écrit  un livre qui s'appelle : «  l'étoile et la croix » cette année là et j'évoque la visite du pape Paul VI à Jérusalem. A ce moment là, il n'y avait pas de relations diplomatiques entre le Vatican et Israël. Pendant  2 jours Paul VI a trouvé le moyen de ne pas citer une seule fois le mot Israël.
Il y a une page qui a été tournée. Il y a un bond de l'histoire qui a été  franchi
Il reste des incertitudes, des complications dans les esprits entre juifs et chrétiens. On est au début d'un chemin. Par exemple l'eglise catholique était loin d'être au clair
 ses responsabilités par rapport à la Shoah. Par exemple le rôle de Pie XII face à l'extermination des juifs. Il y a là encore des soupçons  très forts pour la communauté juive face à une église catholique qui n'arrive pas à faire la clarté sur son passé. Il y a la mémoire blessée du génocide;
Mais d'autres questions demeurent. L'église a-t-elle renoncé à la théorie de la substitution qui ignorait la déclaration propre de l'identité d'Israël.
Il y a des textes officiels comme le nouveau catéchisme de 1992 où l'on parle de l'église comme un nouvel Israël.
Cela pose des problèmes aux juifs. On ne se prétend pas nouveau quand on accepte ses sources dans le judaïsme. Nouvel Israël choque une partie de la communauté juive.
D'autres ambiguités restent sur le  contenu de la révélation sur la doctrine de la terre.
La terre est centrale pour un juif qui l'identifie à Israël. On n'a pas fini d'en parler avec l'affaire des colons qu'on évacue des territoires messianiques à la Terre Promise.
Donc il y a encore beaucoup de sujets à aborder avec les juifs.

b. Le dialogue avec l'Islam

Cela me paraît plus difficile; il n'y a pas d'institution centrale et organisée de l'Islam avec des interlocuteurs représentatifs. Cela pose problèmes . En France, péniblement se mettent en place un conseil français du culte musulman. Vous savez, qu'il est divisé combien les origines nationales, religieuses de ce musulmans sont variés, combien ils ont du mal  à faire la clarté sur leurs propres options et leurs propres revendications;
Il y a une difficulté d'avoir des interlocuteurs avec l'islam.
Il s'est produit des choses graves avec les musulmans .

Cela a marqué les esprits et limite le dialogue avec l'islam qui n'est plus ce qu'il était autrefois avec la tradition des orientalistes, dialogue de tolérance et de civilisation.
Les crimes commis au nom d'un Islam perverti en Algérie ,en Egypte, des discriminations persistantes des chrétiens minoritaires au Pakistan et en Arabie Saoudite font en sorte qu'une crise de civilisation menace les équilibres anciens des théologies islamiques et chrétiennes.
Aujourd'hui, il est plus difficile dans les milieux chrétiens de parler dialogue avec l'islam. C'est plus difficile qu'il y a 30 ans. Comment croire à un dialogue possible entre deux visions de l'homme, du monde et du salut apparemment aussi inconciliables?
La croyance des Chrétiens en un Dieu qui s'incarne, se révèle dans une histoire est un scandale pour un musulman. Pour le chrétien cet incarnation est un élément majeur, c'est celui qui justifie l'exercice de sa propre liberté. Aucun dialogue sérieux avec l'islam n'est possible sans la prise en compte de son environnement politique ni cette connaissance rigoureuse de ce qui sépare ces deux traditions.
Il y a beaucoup à faire dans ce domaine-là . Le pape Jean-Paul II  parlait souvent du dialogue avec l'islam comme un enjeu majeur de civilisation, « dialogue avec les musulmans modérés » disait-il soutenir la présence des chrétiens minoritaires dans les pays de l'islam.
Il ne peut y avoir de capitulation dans ce domaine disait-il dans ses encycliques et durant ses voyages même si je l'ai vu à Damas entrer dans une mosquée.
Il faut un témoignage réciproque en vue de surmonter les préjugés, l'intolérance et les mal-entendus.
Voici quelques uns des défis, des questions qui se posent pour l'avenir, qui se posent à toutes les communautés chrétiennes.

CONCLUSION

Il ne faut pas prendre mon propos pour un propos pessimiste. Il faut le prendre pour une sorte d'état des lieux qui se veut très réaliste;
Pour terminer, je ne cesse de m'étonner que le discours de l'église pourtant porté par des grands mouvements comme l'Action Catholique, par des intellectuels, pourquoi ce discours des Eglises n'est pas davantage audible dans le monde d'aujourd'hui.
Je me dis quels moyens prend l'église , prennent les églises pour se faire écouter ??
Je me réjouis des nouvelles générations des laïcs engagés qui prennent les commandes dans les communautés. Il y a une sorte de redistribution du savoir. La formation théologique des laïcs, il y en a maintenant partout des écoles de la foi, c'est une très bonne chose. Cela est une avancée irréversible;
Je me réjouis aussi de la floraison des nouvelles communautés.
Je me réjouis des efforts multiples, discrets de contacts entre les communautés chrétiennes ( catholiques et autres) et avec les autres religions, juifs, musulmans ., des semeurs de l'unité.
Je me réjouis de votre rencontre, des organismes comme les Semaines sociales. A Lille en novembre dernier le Père Schillinger et moi-même nous y étions 5000 personnes.
Je me réjouis de voir l'église s'occuper des sans-papiers , de lutter pour le droit des prisonniers, des handicaps, de voir resurgir
des groupes militants contre les exclusions, contre la guerre, contre la pauvreté, contre la mondialisation
J'étais à Bombay, il y a un an et demi au forum social mondial. Il y avait une forte délégation française. C'était des gens du CCFD et autres organismes chrétiens
Il y a des raisons de se réjouir. Il y a des choses qui progressent, même si ce n'est plus la foi chrétienne telle que nous l'avons connue, encadrée comme autrefois.
Mais comment ne serai-je pas profondément inquiet ?
Comment ne puis-je pas penser à l'essoufflement de cette génération de laïcs qui a une difficulté  à assurer son renouvellement .
Comment n'oserai-je pas être malheureux de voir tant de prêtres, s'épuiser à la tâche, circuler entre 10,15,20 paroisses ??
Comment ne suis-je pas inquiet d'une église dont les forces se dispersent, qui est incapable de travailler ensemble? Je pense parfois à certaines attitudes de communautés nouvelles qui vivent en autarcie. Je m'inquiète surtout du temps et des énergies perdues, dans la défenses des positions disciplinaires qui ne sont plus comprises autour de moi.
Les défenses de certaines positions disciplinaires tels que le célibat sont devenus incompréhensibles voire illisibles. A force de dire que l'église  ne doit pas s'interroger savoir si elle a raison , si le monde a raison et doit dire qu'elle a raison quand le monde a tord, eh bien, le monde finira un jour par ne plus écouter ses raisons.