Merci de la présentation Père Schillinger. Merci d'être
venu me contacter à Paris.
Pour moi, venir rencontrer des auditeurs, des lecteurs, c'est toujours extrêmement
utile pour ma Pratique personnelle. C'est très utile de faire resurgir
pour votre vie religieuse ce que vous ressentez de la vie religieuse dans
les médias.
Merci de votre l'accueil en Alsace.
Je voudrai m'excuser de ce retard. C'est le 8 avril que je devais être ici, mais vous l'avez dit le 8 avril l'actualité me retenait à Rome. Je ne peux pas faire ce travail de réflexion à propos du christianisme en France et dans le monde sans commencer avec ce qui s'est passé à Rome. Beaucoup de choses ont bougées en un mois. Il y a eu un événement médiatique extraordinaire : la mort de Jean-Paul II.
On a tout dit sur ce pape et je ne vais pas ici refaire le bilan de ce
pontificat.
Je voudrai à travers ce qui vient de se passer poser un certain
nombre de questions sur l'état des lieux du Christianisme en France
aujourd'hui. Je voudrai d'abord partager l' émotion qui était
la mienne à Rome; Trois scènes d'émotion encore présentes
dans ma mémoire.
1ère scène : l'agonie de Jean-Paul II vécu
presqu'en direct par le monde entier . Le personnage du chef de l'Eglise
catholique disparaît derrière la figure exceptionnelle du personnage
avec un destin exceptionnel. J'étais au milieu de la foule à
la Place Saint Pierre et on sentait qu'il se passait quelque chose dans la
demeure du pape. Il y a ce rapport entre cette foule qui priait sans excitation,
sans démonstration et la scène de la mort qui se passait très
près de là. Il y avait une espèce de fil indirect entre
la place et la chambre.
2ème scène : les obsèques. Cela nous
interroge. On est parfois pessimiste sur l'avenir de nos églises.
On dit qu'il n'y a plus d'intérêt, de l'indifférence
profonde sur ce qui se passe dans les églises. Et voilà, tout
à coup, un événement extraordinaire. Le monde entier
s'arrête de vivre. Il y avait une espèce de suspension dans
le temps autour de ce cercueil. Là aussi c'est quelque chose d'assez
fort. Cela me faisait rêver au monde unifié; cette figure universelle
qui réconciliait les hommes pour une fois tout en sachant
que cela n'allait pas durer. La réunion des fidèles, de chefs
d'états et des chefs de toutes nos églises et religions monothéiste,
ou pas . C'était un instant de grâce autour d'une personne;
Cela me conduit vers une certaine modestie dans le métier que j'exerce
: le journaliste est aussi un témoin et je n'ai pas pu m'empêcher
de penser que tout ce que j'ai pu écrire sur ce pape, les 53 voyages
que j'ai fait avec lui, que tout ce que j'avais écrit à savoir
que cet homme aurait du démissionner s'est relativisé. Il a
incarné une proximité avec l'homme malade, l'homme souffrant
avec l'homme handicapé. Je mesurais tout le travail que j'avais
pu faire, les bêtises que j'avais pu écrire. Quand on est journaliste,
on est très critique on a la logique des hommes mais là il
y avait la logique de Dieu . Elle était là dans cette
réunion extraordinaire du monde entier autour d'un cercueil
3ème scène : l'élection du nouveau pape.
C'est vrai que le cardinal Ratzinger faisait un peu figure d'épouvantail.
Dans le milieu protestant on sait le poids de la discorde qu'il peut y avoir
sur les écrits qu'il a publié en tant que préfet de
la congrégation de la doctrine de la foi. J'ai envie de dire que l'élection
de Ratzinger ne m' a pas surpris. La nouvelle de sa possible élection
revenait des Etats-Unis où Ratzinger impressionnait les milieux américains.
Quand j'ai lu cela au mois de décembre dans la presse américaine
je me suis dit, c'est une folie, on ne va pas élire Ratzinger comme
pape. Ce n'est pas possible! Et puis, j'ai réfléchi.
Je me suis dit c'est une hypothèse possible pour trois raisons :
Lorsque des journalistes comme moi de temps en temps se risquaient à
lancer des hypothèses sur un pape latino-américain, asiatique
ou africain, on nous regardait avec un certain mépris en disant,
c'est le choix de l'aventure, ce qu'il faut à l'église aujourd'hui
- on peut en discuter - c'est le choix de la certitude, c'est le choix de
la sécurité dans les orientations. vous avez affaire en France,
en Allemagne à des églises qui sont prises au piège
d'une sécularisation excessive. Votre président l'a évoqué
tout à l'heure. Il y a la volonté des groupes pentecôtistes
sans rapport avec les grandes églises protestantes traditionnelles
d'Amérique du Nord. Ce sont les groupes évangéliques
qui sont très nombreux et qui menacent la suprématie numérique
tout au moins en Amérique du Sud. Danger en Afrique, avec la montée
de l'Islam. Danger en Asie, la difficulté du christianisme de se faire
une place en dehors des places traditionnelles que sont les Philippines ou
le Viet Nam à cause de la colonisation française. Mais le christianisme
en Asie c'est 2 ou 3 cents personnes pas plus;
Pour les responsables d'Eglise comme l'Eglise catholique, il y avait une
sorte de sécurité d'aller chercher un homme comme
Ratzinger, qui incarne la garanti, la certitude de la doctrine. Opnpeut regretter
ce choix au point de vue oeucuménique. Mais le fait est là,
c'est ce qui a été ressenti et qu'il faut prendre comme tel
surtout - ce qui m'a été dit et répété
à Rome pendant ces mois , c'est que le Cardinal Ratzinger était
vraiment de très loin la personnalité intellectuellement et
spirituellement indiscutablement supérieure à tous les
autres cardinaux.
Ce choix là était aussi d'une certaine manière logique.
Maintenant qu'est ce qu'on va faire ?
Je ne suis pas de ceux qui me prononce déjà sur ce que la pape
va devenir, en fonction de ce qu'il a déjà fait.
Je ne suis pas de ceux qui disent qu'il prolongera le cardinal Ratzinger
et qu'on entrera dans une période de tassement théologique
ou oecuménique.
Je ne suis pas aussi pessimiste que cela. Il est trop tôt pour faire
un bilan.
Je voudrai dégager 5 points sur lesquels tous les chrétiens
sont invités à réfléchir qu'ils
Soient catholiques ou réformés.
I. La décentralisation
Il y a aujourd'hui un besoin de décentraliser le pouvoir romain. Il
y a quelque chose à ce niveau qui se passe. Le nouveau pape donnera-t-il
un style d'ouverture ?
Va-t-il garder la priorité du pouvoir romain ou faut-il davantage
de souplesse dans le fonctionnement des Eglises par rapport à Rome.
On rencontre trop d'évêques de part le monde qui disent
que les règles de la collégialité instaurées
par Vatican II n'ont pas pu fonctionner sous Jean-Paul II de manière
aussi idéale qu'on aurait pu le souhaiter.
C'est particulièrement vrai pour les nominations d'évêques.
On a le sentiment que le peuple de Dieu n'est pas associé aux nominations
des évêques. Il y a un vrai problème pour les chrétiens
d'aujourd'hui.
Et puis, l'inefficacité de synodes. Dans la tradition catholique les
synodes ne donnent pas de résultats. Ce sont des assemblées
qui ont lieu à Rome ou dans les diocèses et qui sont des chambres
d'enregistrement d'un certain nombre de voeux et qui ne sont jamais efficaces
ou rarement.
Sous Jean-Paul II, est souvent intervenue cette critique d'une centralisation
excessive qui prend les décisions.
C'est vrai que le charisme de Jean-Paul II était de voyager,
de soutenir les églises locales. A cet égard, son oeuvre
est exemplaire.
Mais, c'est vrai qu'il y a un certain nombre de problèmes qui ont
été bloqués par la curie romaine dont le pouvoir est
beaucoup trop important.
Les évêques français se plaignent souvent de cette espèce
de suprématie, de cette domination qu'on essaye d'exercer sur leur
propre terrain, à l'intérieur de leur diocèse.
Alors, les problèmes se posent. La vie de l'Eglise doit traiter des
problèmes qui se posent inévitablement. Ces problèmes
sont connus, identifiés, ce sont ceux qui reviennent souvent dans
le voeu des fidèles quand il y a des synodes.
Problèmes qui ne sont jamais discutés entre évêques
malheureusement comme par exemple l'accès à l'Eucharistie des
couples divorcés, remariés, le problème d'ordonner comme
prêtres des hommes mariés
Toutes ces questions d'ordre oecuméniques : jusqu'où faire des
rapprochements avec les autres chrétiens séparés.
Je crois que là il y a des blocages. Le nouveau pape sait qu'ils existent.
Aura-t-il le pouvoir, la latitude de les résoudre ?
Ce qui est souhaitable, c'est qu'on puisse en débattre, en débattre
c'est l'affaire de tous les chrétiens, c'est l'affaire des synodes.
Il faut retourner aux instances de dialogue , de concertation des espaces
de voies de souplesse.
Est-ce que Benoît XVI sera sensible à ces demandent qui visent
à la décentralisation ? C'est une des questions qui se
posent pour demain. On ne peut pas continuer à fonctionner dans un
même monde, les décisions sont de plus en plus partagées
et la collégialité est mieux organisée.
II. Combler le divorce avec la société
moderne
Ce divorce, vous le connaissez, j'en cite 3 données.
Même si les baptêmes adultes sont en augmentation - c'est
important de le noter - c'est un signe positif, il y en a 3000 par an - le
nombre de baptisés a chuté : de 80% en France dans les années
50 à 60% aujourd'hui. J'étais en Allemagne la semaine dernière
: on avait des chiffres pareils de décrochage. C'est un signe fort.
Quant à la déclaration d'appartenance à une église,
moins des 2/3 des français se déclarent aujourd'hui catholiques,
ils étaient plus de 82% ay début du pontificat de Jean-Paul
II.
A cette moindre demande religieuse, il faut ajouter ce que j'appelle une
certaine désobéissance des fidèles par rapport aux positions
de leur Eglise :
Désobéissance par rapport aux discours sur la contraception,
sur la cohabitation en dehors du mariage, sur la procréation médicale
assistée. Il y a un phénomène de décrochage qui
se produit. Il y a un fossé qui se creuse entre ce que dit le magistère
et la réalité que vivent les couples ou les médecins.
C'est un problème devant lequel il faudra bien un jour réagir.
Ou bien, c'est le discours de principe qui ne peut plus être connu
ou bien ce sont les croyants qui se coupent de ce que dit le magistère.
Il y a aussi un scepticisme par rapport à un certain nombre de dogmes,
par rapport à de grandes vérités tenues pour définitives
: la résurrection, la définition de Jésus comme Fils
de Dieu. Ces vérités aujourd'hui ne vont plus de soi, même
chez les fidèles. C'est le sens de la révélation qui
est en cause . La foi et l'acte moral ne se font plus sur des dogmes imposés
par une autorité extérieure, mais sur une liberté
de conscience toujours davantage postulée.
C'est cela le changement de l'univers religieux.
C'est cela la sécularisation qui devient massive et qui s'exprime
par la montée de l'individualisme, l'indifférence et de ce
relativisme que le cardinal Ratzinger a dénoncé.
La question qui se pose est la suivante :
Quelle est l' alternative ?
Est-ce que l'Eglise , pour prendre l'Eglise catholique , pourra tenir un
langage différent ? Changer sa position sur quelques principes fondamentaux
?
Peut-elle répondre à la demande du sens autrement que par répartition
d' intérêts et de norme surtout pour la jeune génération
?
Voilà une des tâches qui nous attendent pour l'avenir. Des appels
sont régulièrement lancés pour adapter le christianisme
à la modernité. Comme vous, je suis sensible aux risques qu'il
y a de transformer le christianisme en une sorte de vague humanisme.
Il y a trois clefs sur ce terrain là :
J'ai terminé mes 2 premiers points à savoir : d'abord la
nécessité de faire jouer davantage les circuits de la
parole dans le fonctionnement des Eglises. Une Eglise ne peut pas être
une institution centralisée, autoritaire, où tout part de Rome
d'une manière pyramidale. Il y a des progrès à faire
de ce côté là. Mon deuxième terrain, c'est la
société moderne.
III Les ministères
C'est mon troisième terrain. La question des ministères est
grave. Ce n'est pas seulement la question touchant les paroisses catholiques.
C'est une question qui s'adresse à l'ensemble de la société.
Combien de fois on a mis en exergue le scénario d'une Eglise catholique
sans prêtres, c'est vrai les pays comme la France, l'Allemagne, même
l'Espagne ne sont plus des pays d'une richesse extrême en vocations
sacerdotales. Il y a des Eglises du Tiers Monde qui disent que la situation
n'est pas si mauvaise. En Afrique les séminaires sont pleins. J'accepte
cette observation. Mais vous savez aussi qu'à Paris il y a déjà
des prêtres africains qui viennent assurer le ministère La question
n'est pas nouvelle, elle s'accentue.
L'autre jour l'évêque d'Evreux me disait qu'il a actuellement
80 prêtres en activité., dans 5 ans il n'y en aura plus que
25. C'est le goulot d'étranglement. On ne voit pas la sortie de la
crise.
La France ordonnait 1000 prêtres par an dans les années
50 , elle en ordonne aujourd'hui environ 100 depuis 20 ans.
Le clergé catholique était composé de 41 000 prêtres
en 1950, il n'en est plus qu'à la moitié dont les 2/3 sont
âgés de plus de 60 ans. Vous connaissez tous des prêtres
surchargés de paroisses, - moins vrai en Alsace - mais c'est une lourde
charge. Je suis toujours frappé par l'immense dévouement
de ces prêtres qui se dispersent et rendent des services énormes,
aidés par des laïcs et cela c'est un phénomène
qui rend espoir. C'est quand même humainement parlant une charge lourde
à porter.
Alors pourquoi cette baisse qui continue ?
Les raisons de cette baisse pèsent sur les jeunes croyants. La question
est sociale. Il y a le célibat. Mais tous les spécialistes
disent que si on permettait le mariage des prêtres cela ne règlerait
pas la question de la crise des ministères.
Il a y la pédophilie.
C'est plus profond que cela . C'est une crise d'identité su
prêtre et du ministère ordonné qui touche la France et
au-delà de la France.
Tous les efforts fait pour la formation des laïcs pour leur confier
des responsabilités buttent sur cette réalité. Les besoins
spirituels et sacramentels ne peuvent plus être assurés. L'appel
à des prêtres africains et polonais n'est qu'un palliatif.
Alors que faire ??
C'est le chantier qui va s'ouvrir au nouveau pape. La solution sera peut-être
d'ordonner prêtres où diacres, des hommes d'expérience
célibataires , ou mariés appelés par l'évêque
ou choisi par leur communauté. C'est une question posée. C'est
une hypothèse qui court dans la tête d'un grand nombre d'évêques.
Le débat n'a pas été soulevé au moment du concile.
Mais aujourd'hui compte-tenu des besoins qui sont immenses, la question
est posée.
L'enjeu est la présence et le rayonnement de l'Eglise dans les 10
ans à venir; Son maillage institutionnel, l'animation des communautés,
l'avenir de l'évangélisation est en cause.
La fin de la loi du célibat n'est pas la panacée, mais cette
loi écarte du ministère nombre de jeunes qui ne peuvent pas
l'accepter.
Le célibat consacré rend le prêtre complètement
disponible à Dieu et à son ministère. Mais ce n'et pas
un article de foi, ce n'est qu'une discipline variable dans le temps et l'espace
qui n'et plus compris par l'homme d'aujourd'hui.
Sans faire d'érudition historique c'est un outil du 5ème siècle.
En raison de la suppression du corps monastique que le statut du prêtre
a commencé à être encadré. Mais les hommes mariés
ont continué à être ordonnés prêtres et
évêques jusqu'au 12ème siècle. C'est au Concile
du Latran qu'a été déclaré l'invalidité
du mariage des évêques et des prêtres après leur
ordination.
Mais il faut savoir que dans l'église d'Orient unie à Rome
les prêtres sont mariés .
Il me semble, et c'est la pensée d'un certain nombre d'évêques
que l'accès au ministère ordonné sera l'une des premières
questions que le prochain pape aura à arbitrer.
La solution intermédiaire est l'élargissement des fonctions
du diacre et l'accès du diaconat aux femmes, ce serait un retour au
premier temps de l'Eglise. Les diacres sont au nombre de 1325 en France alors
qu'en 1970 ils étaient 11. On ordonne tous les ans plus de diacres
permanents que de prêtres. Le concile Vatican II a restauré
le diaconat permanent. J'écarte la question de l'ordination des femmes.
Elle est hors débat. Sur le plan du magistère la question est
bloquée par Jean-Paul II depuis 1994 . La question ne relève
pas seulement de la discipline mais d'un dogme. Voilà le 3ème
chantier de réflexion pour le pape mais aussi pour nous chrétiens.
IV L'oecuménisme
Je sais que je suis en Alsace , une terre où l'oecuménisme se
pratique. Je sais qu'il y a beaucoup de réformés dans cette
assemblée et je m'en réjouis de les rencontrer.
Mais il y a aussi des progrès à faire et des réflexions
à faire avancer;
Le nouveau pape a dit à plusieurs reprises qu'il comptait bien faire
bouger les choses. Il a dit à plusieurs reprises qu'il ferait
des gestes forts. Il a salué la réunion du synode de l'Eglise
réformé de France au mois dernier. C'est un geste symbolique
intéressant. Mais on attend beaucoup plus.
Est-ce que ce nouveau pape va prolonger le cardinal Ratzinger qui a écrit
sur l'oecuménisme des choses qui n'ont pas plu. Est-il capable
de changer de position, de changer le discours de l'église catholique
au moins de le ratifier sur un certains nombre de points ?
Je vous rappelle que c'est lui qui a écrit Dominus Jesus, déclaration
où il rappelait que seule l'église catholique avait le dépôt
de la foi. C'est là que le dépôt de la foi était
le mieux garanti. Cela avait fait grand bruit à Genève
et dans l'église réformée de France.
Cela a fait d'autant plus de bruit que le cardinal Ratzinger avait dit que
les églises protestantes, parce qu'elles ne respectaient pas la succession
apostolique ne méritaient pas d'être appelées églises
mais simplement des communautés ecclésiales.
Cela était pris comme une marque de défiance : cela pouvait
difficilement être autre chose de la part des protestants. On sait
combien de progrès ont été faits depuis 30 ans sur le
plan oecuménique. Il y a eu une période idéale du rapprochement
oecuménique après Vatican II. :
Il y avait une sorte de climat fusionnel. On renonçait aux conflits
du passé. On se pardonnait mutuellement les affaires commises entre
Eglises. Mais pour le dialogue oecuménique il faut être
au moins deux et là il s'est produit des incidents graves.
Après la chute du communisme on surgit entre catholiques et orthodoxes
des conflits de frontières et de juridiction dont on a oublié
presque l'existence;
Souvenez-vous en Ukraine, de la révolution hongroise il y a quelques
semaines ou encore en Roumanie où des communautés orthodoxes
et greco-catholiques en sont venues aux mains.
Moi, je retiens comme une des pages les plus tristes du pontificat de Jean-Paul
II que jamais, il n'ait pu se rendre à Moscou. Il a pu rendre visite
à des synagogues, à des mosquées et n'a jamais pu rendre
visite à un pays aussi chrétien que la Russie.
Les orthodoxes russes se sont repliés depuis la chute du Mur au nom
du réveil de l'uniatisme favorisé par le Vatican sans égard
pour la Tradition orthodoxe millénaire. Cela a provoqué des
ruptures considérables.
Avec les églises protestantes, avec l'accord signé
en 1998 entre le Vatican et les Luthériens sur la justification de
la foi un conflit historique a été en partie gommé à
Augsburg. Mais il reste l'impossibilité rappelée par le cardinal
Ratzinger de pratiquer l'intercommunion entre catholiques et protestants
et de pratiquer des conciliations;
C'est quelque chose qui est incompris dans le monde non chrétien,
cette espèce d'impossibilité pour des églises de pouvoir
communier à la même table alors qu'ils partagent la même
foi en Jésus-Christ.
Avec les anglicans le dialogue a été compliqué par la
question d'ordinations des femmes prêtres. L'Eglise anglicane a accepté
le principe d'ordonner des femmes et cela était mal vu par le Vatican.
Comment va-t-on faire avec tout cela maintenant ?
Comment tenter de renouer le dialogue avec l'orthodoxie notamment la grande
orthodoxie russe ? Est-ce qu'on peut espérer qu'un jour le dialogue
se renouera entre l'église orthodoxe de Russie et l'église
catholique de Rome?
C'est une question qui devrait intéresser tous les chrétiens
au nom de l'unité qui nous est demandée aujourd'hui. Comment
prêcher un langage d'amour et d'amitié au nom du Christ si on
n'est pas capable de communier à la même foi peut-être
pas dans la même forme ? En tous cas , il y a des choses à faire.
En 1995, Jean-Paul II a lancé une perche dans son encyclique ut unum
sunt « qu'ils soient un »
Dans cette encyclique il disait qu'il avait conscience que le principal obstacle
du rapprochement oecuménique était la primauté universelle
du pape , il avait proposé une sorte de réflexion commune sur
l'exercice de cette primauté universelle.
On peut espérer qu'un jour une table ronde va s'organiser. On n'imagine
pas que le pape renonce à la primauté universelle, mais on
peut imaginer qu'un autre exercice de cette primauté pourra se faire
autrement que par cette autorité universelle que le pape Jean-Paul
II a souvent rappelé d'une manière irritante pour les partenaires
du dialogue oecuménique.
Le modèle d'unité entre les Eglises doit-il être fondé
sur le pape comme le veut la tradition catholique où privilégier
une ecclésiologie de communion ?
L'évêque de Rome est-il prêt a accepter une primauté
d'honneur, un rôle de coordinateur ou d'intercesseur sans les revendications
de primauté mondiale ou d'infaillibilité personnelle
que les autres confessions ne reconnaissent pas ? C'est là l'autre
grand débat qui ne sera pas réglé à l'horizon
du nouveau pontificat.
Comment le pape peut-il renoncer à son magister universel ? Qu'est
ce qu'il est capable de concéder pour la cause supérieure de
l'unité ? Comme limitation de son propre pouvoir ?
Acceptera- t-il que soit discuté la structure de l'autorité
catholique élaborée au deuxième millénaire jusqu'à
Vatican I ?
Rome parviendra-t-elle à se définir autrement que comme un
centre et le pape à limiter son rôle à un patriarche
d'Occident même premier parmi ses pairs . C'est de la réponse
à ces questions que dépendra la réunification des familles
chrétiennes.
L'oecuménisme est un terrain permanent d'espoirs et de grandes
déceptions.
V. La rencontre avec le judaïsme et l'islam.
Il faut rappeler que nos amis protestants ont commencé le dialogue
avec le judaïsme avant les catholiques.
La Conférence de Sigisberg après la guerre qui réunissait
des protestants de France et d''Allemagne était la première
ébauche avec le judaïsme. Vatican II , il y a 40 ans, dans sa
déclaration « Nostra aetate » de notre temps témoigne
d'une reconnaissance des autres religions du judaïsme, de l'islam et
des autres traditions;
C'est un changement d'univers religieux complet. Beaucoup de chrétiens
n'acceptent pas ce changement ;il s n'ont pas accepté les réunions
que le pape tenait à Assise. Il réunissait à 3 reprises
les représentants des différentes grandes religions du monde.
Les amis de Mgr Lefèvre, les traditionnalistes ont crié à
la trahison, à l'apostasie. Ils n'ont pas accepté le dialogue
avec les protestants à plus forte raison avec les juifs qui soi-disant
ont tué le Christ; c'est un changement d'univers complet qui s'est
produit; où en est-on aujourd'hui ?
a. le dialogue avec les juifs
Je crois que cela va mieux dans le dialogue avec le judaïsme que
avec le dialogue avec l'islam qui lui est plus incertain.
Dans le dialogue avec le judaïsme , il y a eu des choses étonnantes
depuis _ de siècle; des étapes irréversibles ont été
fondées qui n'ont toujours pas été comprises par un
certains nombre de chrétiens. Aujourd'hui, avec le temps les choses
passent mieux.
Mais quand même, si on se souvient des proclamations de repentance
, le mot a beaucoup frappé l'opinion quand le pape est allé
demander pardon aux juifs pour les pages moroses de l'anti-judaïsme
de l'église catholique. Il l'a fait à Rome , à Jérusalem.
Les images sont encore dans toutes les mémoires. Souvenez-vous la
première visite du pape à la synagogue de Rome; il a dit une
évidence qu'il fallait rappeler « vous les frères
juifs, vous êtes nos frères aînés dans la foi en
Dieu et dans la promesse faite à Abraham. En un sens vous êtes
nos frères privilégiés. »
C'est des phrases fortes quand on sait d'où l'on vient; quand on sait
les dominantes moroses dans les relations entres le christianisme et le judaïsme.
Le nouveau pape lors de sa prochaine visite en Allemagne en août ira
dans une synagogue à Cologne qui est la plus grande synagogue au-delà
des Alpes;
- il y a la reconnaissance en lien de filiation historique et spirituelle
entre christianisme et judaïsme. L'effort fait par Rome pour que l'église
retrouve ses racines juives expurge les textes de toute allusion anti-juive;
Lorsque j'allais au catéchisme on apprenait à peine l'histoire
des juifs. Le catéchisme commençait à Jésus Christ.
L'histoire du christianisme a son origine évidemment dans ses
racines juives;
Il y a la reconnaissance de l'état d'Israël. Cela n'a pas été
facile. Le Vatican a reconnu Israël en 1994 J'ai écrit
un livre qui s'appelle : « l'étoile et la croix »
cette année là et j'évoque la visite du pape Paul VI
à Jérusalem. A ce moment là, il n'y avait pas de relations
diplomatiques entre le Vatican et Israël. Pendant 2 jours Paul
VI a trouvé le moyen de ne pas citer une seule fois le mot Israël.
Il y a une page qui a été tournée. Il y a un bond de
l'histoire qui a été franchi
Il reste des incertitudes, des complications dans les esprits entre juifs
et chrétiens. On est au début d'un chemin. Par exemple l'eglise
catholique était loin d'être au clair
ses responsabilités par rapport à la Shoah. Par exemple
le rôle de Pie XII face à l'extermination des juifs. Il y a
là encore des soupçons très forts pour la communauté
juive face à une église catholique qui n'arrive pas à
faire la clarté sur son passé. Il y a la mémoire blessée
du génocide;
Mais d'autres questions demeurent. L'église a-t-elle renoncé
à la théorie de la substitution qui ignorait la déclaration
propre de l'identité d'Israël.
Il y a des textes officiels comme le nouveau catéchisme de 1992 où
l'on parle de l'église comme un nouvel Israël.
Cela pose des problèmes aux juifs. On ne se prétend pas nouveau
quand on accepte ses sources dans le judaïsme. Nouvel Israël choque
une partie de la communauté juive.
D'autres ambiguités restent sur le contenu de la révélation
sur la doctrine de la terre.
La terre est centrale pour un juif qui l'identifie à Israël.
On n'a pas fini d'en parler avec l'affaire des colons qu'on évacue
des territoires messianiques à la Terre Promise.
Donc il y a encore beaucoup de sujets à aborder avec les juifs.
b. Le dialogue avec l'Islam
Cela me paraît plus difficile; il n'y a pas d'institution centrale
et organisée de l'Islam avec des interlocuteurs représentatifs.
Cela pose problèmes . En France, péniblement se mettent en
place un conseil français du culte musulman. Vous savez, qu'il est
divisé combien les origines nationales, religieuses de ce musulmans
sont variés, combien ils ont du mal à faire la clarté
sur leurs propres options et leurs propres revendications;
Il y a une difficulté d'avoir des interlocuteurs avec l'islam.
Il s'est produit des choses graves avec les musulmans .
Cela a marqué les esprits et limite le dialogue avec l'islam qui
n'est plus ce qu'il était autrefois avec la tradition des orientalistes,
dialogue de tolérance et de civilisation.
Les crimes commis au nom d'un Islam perverti en Algérie ,en Egypte,
des discriminations persistantes des chrétiens minoritaires au Pakistan
et en Arabie Saoudite font en sorte qu'une crise de civilisation menace les
équilibres anciens des théologies islamiques et chrétiennes.
Aujourd'hui, il est plus difficile dans les milieux chrétiens de parler
dialogue avec l'islam. C'est plus difficile qu'il y a 30 ans. Comment croire
à un dialogue possible entre deux visions de l'homme, du monde et
du salut apparemment aussi inconciliables?
La croyance des Chrétiens en un Dieu qui s'incarne, se révèle
dans une histoire est un scandale pour un musulman. Pour le chrétien
cet incarnation est un élément majeur, c'est celui qui justifie
l'exercice de sa propre liberté. Aucun dialogue sérieux avec
l'islam n'est possible sans la prise en compte de son environnement politique
ni cette connaissance rigoureuse de ce qui sépare ces deux traditions.
Il y a beaucoup à faire dans ce domaine-là . Le pape Jean-Paul
II parlait souvent du dialogue avec l'islam comme un enjeu majeur de
civilisation, « dialogue avec les musulmans modérés »
disait-il soutenir la présence des chrétiens minoritaires dans
les pays de l'islam.
Il ne peut y avoir de capitulation dans ce domaine disait-il dans ses encycliques
et durant ses voyages même si je l'ai vu à Damas entrer dans
une mosquée.
Il faut un témoignage réciproque en vue de surmonter les préjugés,
l'intolérance et les mal-entendus.
Voici quelques uns des défis, des questions qui se posent pour l'avenir,
qui se posent à toutes les communautés chrétiennes.
CONCLUSION
Il ne faut pas prendre mon propos pour un propos pessimiste. Il faut le prendre
pour une sorte d'état des lieux qui se veut très réaliste;
Pour terminer, je ne cesse de m'étonner que le discours de l'église
pourtant porté par des grands mouvements comme l'Action Catholique,
par des intellectuels, pourquoi ce discours des Eglises n'est pas davantage
audible dans le monde d'aujourd'hui.
Je me dis quels moyens prend l'église , prennent les églises
pour se faire écouter ??
Je me réjouis des nouvelles générations des laïcs
engagés qui prennent les commandes dans les communautés. Il
y a une sorte de redistribution du savoir. La formation théologique
des laïcs, il y en a maintenant partout des écoles de la foi,
c'est une très bonne chose. Cela est une avancée irréversible;
Je me réjouis aussi de la floraison des nouvelles communautés.
Je me réjouis des efforts multiples, discrets de contacts entre les
communautés chrétiennes ( catholiques et autres) et avec les
autres religions, juifs, musulmans ., des semeurs de l'unité.
Je me réjouis de votre rencontre, des organismes comme les Semaines
sociales. A Lille en novembre dernier le Père Schillinger et moi-même
nous y étions 5000 personnes.
Je me réjouis de voir l'église s'occuper des sans-papiers ,
de lutter pour le droit des prisonniers, des handicaps, de voir resurgir
des groupes militants contre les exclusions, contre la guerre, contre la
pauvreté, contre la mondialisation
J'étais à Bombay, il y a un an et demi au forum social mondial.
Il y avait une forte délégation française. C'était
des gens du CCFD et autres organismes chrétiens
Il y a des raisons de se réjouir. Il y a des choses qui progressent,
même si ce n'est plus la foi chrétienne telle que nous l'avons
connue, encadrée comme autrefois.
Mais comment ne serai-je pas profondément inquiet ?
Comment ne puis-je pas penser à l'essoufflement de cette génération
de laïcs qui a une difficulté à assurer son renouvellement
.
Comment n'oserai-je pas être malheureux de voir tant de prêtres,
s'épuiser à la tâche, circuler entre 10,15,20 paroisses
??
Comment ne suis-je pas inquiet d'une église dont les forces se dispersent,
qui est incapable de travailler ensemble? Je pense parfois à certaines
attitudes de communautés nouvelles qui vivent en autarcie. Je m'inquiète
surtout du temps et des énergies perdues, dans la défenses
des positions disciplinaires qui ne sont plus comprises autour de moi.
Les défenses de certaines positions disciplinaires tels que le célibat
sont devenus incompréhensibles voire illisibles. A force de dire que
l'église ne doit pas s'interroger savoir si elle a raison ,
si le monde a raison et doit dire qu'elle a raison quand le monde a tord,
eh bien, le monde finira un jour par ne plus écouter ses raisons.