Avec le père Maurice Bellet, l'archevêque Joseph Doré,
et l'écrivain Jean-Claude Guillebaud à Altkirch en 2003 (les 14
mars, 16 mai et 24 octobre), les conférences Culture et Christianisme
reçoivent, pour la septième année consécutive, des
personnalités de renom capables d'éclairer le grand public sur
les développements de la réflexion théologique au contact
des réalités actuelles.
Une dangereuse fuite en avant
Servie par de formidables moyens technologiques, la boulimie de production
et de puissance de l'homme moderne entraîne l'humanité dans une
logique qui menace son avenir. Sous le signe du libéralisme économique
et du principe démocratique qui lui est indùment associé,
elle est de plus en plus asservie au pouvoir de l'argent qui réduit toutes
choses à des marchandises ; la vie tend à n'être plus appréciée
qu'en fonction de ses enjeux commerciaux, et l'environnement est saccagé.
Bercées par les illusions de la félicité annoncée,
nos sociétés consentent. Et les pays du tiers-monde sont laissés
à l'abandon quand ils ne sont pas pillés. Le mensonge et la violence
sont aux commandes : publicité, propagande et oppression rampante ici,
corruption, exploitation et guerres localisées à la périphérie,
mobilisation planétaire contre toute résistance en cas de besoin.
Il n'y a cependant pas de fatalité. L'ordre social actuellement dominant ne relève d'aucune nécessité, et la mondialisation est riche de promesses. Un peu partout, des hommes se mobilisent pour défendre l'humanité et son milieu. Dans son dernier livre intitulé "Plaidoyer pour la gratuité et l'abstinence", M. Bellet, psychanalyste et prêtre, philosophe et théologien, prend la mesure des dangers et appelle à la dissidence.
La routine religieuse
Que se passe-t-il pendant ce temps dans les églises ? Les hommes ont tant prié pour leur prospérité terrestre et leur salut éternel, pour les nations et ceux qui les gouvernent, pour les institutions ecclésiastiques et tout le reste, qu'ils en sont fatigués. Ces registres ont servi aux pires abus, et Dieu semble ne plus répondre à ces appels. Mais le désintérêt pour la religion résulte surtout de la difficulté qu'éprouve l'Eglise à comprendre correctement les enjeux de ce qui se passe aujourd'hui autour d'elle et en son sein, et à proposer des perspectives de foi crédibles. En même temps que l'homme aspire au bonheur et à la liberté que comporte le progrès, il se sent prisonnier de contradictions inextricables que la religion ne l'aide pas à surmonter. Il a le sentiment que l'Eglise ne lui parle pas de la vie qu'il mène et de ce qu'il espère profondément.
Que l'Eglise soit elle-même affectée par les incertitudes et les
contradictions ne doit pas surprendre, puisqu'elle est du monde. Ce qui lui
est reproché, c'est de ne pas assumer cette relativité et de continuer
à répéter sans cesse les mêmes discours, comme s'ils
avaient une valeur éternelle indépendamment des hommes ; et c'est
de défendre avant tout, avec l'ordre social qui les soutient, les institutions
auxquelles elle s'identifie. Le tort de l'Eglise n'est pas de douter ni même
de se tromper parfois, mais de se croire infaillible en dépit des aveux
tardifs de quelques fautes. Pas plus que quiconque, elle ne possède la
vérité. Son unique raison d'être est l'Evangile : sa seule
vocation est d'accompagner les hommes dans leur difficile cheminement vers l'amour
et la liberté de Dieu. En négligeant de se remettre vraiment en
question face aux conditions inédites de sa mission actuelle, elle ne
peut plus avoir de Bonne Nouvelle à annoncer qui soit effectivement nouvelle
et bonne pour nos contemporains.
Les suites prévisibles ou l'Evangile
Dans l'ouvrage intitulé "La quatrième hypothèse", M. Bellet n'exclut pas que le christianisme et la foi chrétienne puissent disparaître comme beaucoup de civilisations et de religions ont disparu dans le passé, sans laisser d'autres traces que des vestiges historiques ; c'est ce qui s'est produit de Carthage à la Cappadoce, à la suite d'un christianisme pourtant florissant durant des siècles. Le christianisme peut aussi se dissoudre progressivement dans la culture occidentale après en avoir été le principal ferment : parmi de nombreux apports venus d'ailleurs, il ne resterait de lui que ses grandes valeurs éthiques sous une forme sécularisée. Troisième éventualité : il n'est pas impossible que le christianisme actuel réussisse à survivre vaille que vaille, du moins un certain temps, à la faveur de restaurations internes ; le conservatisme et le progressisme s'y emploient de façon contradictoire. Reste une quatrième hypothèse : M. Bellet est convaincu que l'Evangile peut resurgir aujourd'hui avec son immense force créatrice, et que l'espérance qu'il porte en lui peut radicalement transformer le monde comme il y a deux mille ans.
Le mensonge, la haine et le meurtre, qui sont depuis toujours l'enfer où
l'homme et Dieu sont niés ensemble et où toute vie se détruit,
ne sont pas moindres qu'autrefois en notre temps de narcissisme systématique
et d'iniquité mondialisée. Or pour survivre, pour se sauver, l'humanité
doit traverser cet enfer. Croire en Dieu, c'est croire en dépit de tout
que l'amour aura le dernier mot, et qu'il est donc possible pour l'homme de
vivre et d'aimer, de se réjouir d'être né et de partager
ce bonheur avec les autres. Mais cette perspective n'a rien d'idyllique pour
M. Bellet : elle ouvre très concrètement sur les combats pour
la vérité, la justice et la paix que requiert la Parole qui sépare
le vrai du faux, et l'amour de l'exclusion. Tout est concerné : le plus
intime en chacun, la famille, la profession, la religion, l'ensemble du social
et du politique. Il s'agit de beaucoup plus que de la pérennité
des institutions religieuses ou de leur disparition : il s'agit de vie ou de
mort pour l'homme et l'humanité, et donc aussi de l'avenir de Dieu. L'Eglise
sera là où s'incarnera cet avenir.
Oser l'impossible
L'Evangile n'est pas un catéchisme qui apporterait aux hommes, une fois pour toutes, les réponses aux questions qu'ils se posent au sujet de Dieu et des conduites humaines. M. Bellet dit qu'il est plutôt, pour chaque personne et pour tous, le lieu de la question qui est à l'origine de toutes les questions, le lieu où l'amour, la vérité et la liberté s'enfantent sur la croix avant de s'accomplir dans la résurrection. Dieu s'est livré à l'humanité à travers sa Parole faite homme, toutes les idoles des religions et du monde se sont effondrées sur le Golgotha, et l'homme est désormais libre face à lui. Les cieux sont vides des multiples dieux qui tenaient l'humanité en leur pouvoir, et même le tombeau de Jésus ne contient pas de corps à récupérer et à vénérer. Il n'existe qu'une seule voie pour connaÓtre Dieu et entrer en relation avec lui, c'est de le contempler à travers les visages des hommes et de le servir en les servant avec tendresse et dévouement. L'Evangile, c'est l'invitation à oser la vie et l'amour sans condition et sans réserve; nulle religion n'en a le monopole, mais l'ultime vérité de la foi chrétienne est que le Christ est à tous au-delà du christianisme.
Conférence à la Halle au blé d'Altkirch, le vendredi 14
mars à 20 h. Entrée libre
Matinée avec M.Bellet : le lendemain, de 10h à 12h, au Café
du Commerce d'Altkirch