LE CHRISTIANISME ENTRE SECTE ET SAGESSE
par André Gounelle
Altkirch, 11octobre2002
Texte partiellement repris dans le journal "L'Alsace" (22.09.02 et
09.10.02)
Des options contraires
En dépit des promesses et des distractions qui cherchent à faire
oublier l'essentiel, la vie est difficile pour le commun des gens. Dans les
sociétés dites développées comme sur le reste de
la planète, le profit et la compétition ne cessent d'accroître
le nombre des laissés-pour-compte. Les progrès eux-mêmes
s'accompagnent trop souvent d'effets pervers. Libéré des tutelles
traditionnelles, l'individu est prétendu roi; mais dans un monde de plus
en plus éclaté et dominé par des intérêts
hégémoniques, sa liberté n'est à bien des égards
qu'une vaine illusion. Pour donner du sens à son existence face à
l'effondrement de l'ordre religieux et social ancien, l'homme moderne éprouve
le besoin de trouver de nouveaux repères et de construire de nouvelles
solidarités.
Ce contexte est des plus favorables au développement des comportements
sectaires. Besoin de se regrouper pour sauver ou affirmer une identité,
besoin de sacraliser les valeurs passées ou nouvelles qui fondent les
communautés-refuges, et besoin de cordialité pour survivre dans
un environnement déshumanisé - sans compter les promesses d'épanouissement
et de réussite que certaines sectes font valoir au diapason de la propagande
du marché. Dans les Eglises, ce courant se traduit à travers des
fondamentalismes et des intégrismes divers, dont certaines communautés
charismatiques ne sont que des formes d'emprunt. La vérité et
le salut viennent de l'au-delà et sont réservés aux élus.
A l'opposé des tentations sectaires, notre société connaît un désenchantement qui ramène l'homme sur terre, l'orientant vers des sagesses qui prônent le renoncement au ciel pour promouvoir l'humanité. Il n'y a de vérité et de salut que dans l'immédiat à notre portée. Cette orientation peut ouvrir sur un art de vivre respectueux de la vie et de la dignité humaine, non exempt de générosité. Certains milieux chrétiens estiment, dans cette optique, que le christianisme devrait désormais s'immerger dans le monde jusqu'à y perdre sa spécificité religieuse. Mais les sagesses sont loin d'être toutes sages, et de nombreux succédanés se contentent de flatter l'individualisme régnant avec des philosophies illusoires.
La foi et la culture ensemble
Dans le monde gréco-romain qui attachait la plus grande importance aux
sagesses, le christianisme naissant a été considéré
comme une secte en raison de la foi qu'il privilégiait. Mais l'histoire
chrétienne est tout entière formée de la féconde
symbiose entre cette foi et les sagesses ou les cultures qu'elle a rencontrées.
En essayant de suivre un chemin de crête entre secte et sagesse, les Eglises
ont eu à essuyer bien des dérapages regrettables sur l'un et l'autre
versant. Elles n'avaient cependant pas d'autre choix que ce chemin-là,
car la vocation du christianisme est d'être présent dans le monde
tout en relevant d'un ailleurs qui transcende le monde. La Parole de Dieu ne
peut être entendue qu'à travers les langages humains, et ne peut
se transmettre parmi les hommes qu'en les accompagnant. Nécessairement
vécue dans des contextes particuliers, la foi doit cependant toujours
rester ouverte sur l'horizon universaliste du message chrétien - cela
vaut pour chaque croyant comme pour chaque Eglise.
Spécialiste des relations entre la foi et la culture, le Professeur
A. Gounelle, ancien doyen de la Faculté de théologie protestante
de Montpellier et auteur d'une quinzaine d'ouvrages, est particulièrement
compétent pour analyser le devenir du christianisme dans la modernité
ou la post-modernité. Son dernier livre, Dans la cité. Réflexions
d'un croyant, met bien en évidence l'actualité de sa pensée.
Remarquable conférencier, son éloquence est servie par de vastes
connaissances, un vif souci de comprendre l'évolution contemporaine,
et le don de vulgariser les recherches les plus prometteuses de notre temps.
Dans l'interview qu'il a donnée sur le site Internet de Culture et Christianisme (<www.pacariane.com/CCCSundgau>), A. Gounelle met en garde contre l'exaltation du passé : "Il faut s'opposer à l'illusion romantique qu'il existe dans le passé une période sinon parfaite, du moins supérieure au présent, et qui pourrait servir de modèle ou de critère pour juger la nôtre." Il faut au contraire reconnaître les valeurs qui émergent du monde, et accepter les créations qui permettent à l'humanité de s'accomplir. "La foi évangélique ne consiste pas à scruter en arrière, à se centrer sur les événements fondateurs du passé, mais à s'appuyer sur ces événements pour regarder vers l'avant et à se tourner vers ce qui vient. Elle ne répète, ni ne conserve, ni ne reproduit. Elle est espérance et innovation actives. D'après l'Apocalypse, Dieu dit: 'Je fais toutes choses nouvelles' (et non 'je maintiens' ou 'je restaure')."
A la Halle au blé d'Altkirch, le 11 octobre à 20 h. Entrée libre. Vente et dédicace des ouvrages du conférencier.