Le défi du pluralisme religieux à Altkirch
Article paru dans le journal "L'Alsace" (09.11.01)
 

Claude Geffré, un des meilleurs spécialistes actuels de la théologie des religions, donnera une conférence le 16 novembre à la Halle au blé.

DIEU EST MORT, proclamait l'athéisme, convaincu que l'homme allait prendre le relais de Dieu et que le naufrage de la religion était inéluctable face aux sciences et aux techniques ; le christianisme semblait condamné. Pourtant, la question de Dieu est toujours d'actualité, les religions restent étonnamment actives à travers le monde, et elles se montrent capables d'innover. La vie humaine demeure un mystère qu'aucun savoir ne parvient à élucider, et bien des hommes continuent à se tourner vers les religions pour donner du sens à leur existence, nouer des solidarités et construire leur identité. Même les structures profanes, et notamment la politique, ne dédaignent pas de faire des emprunts idéologiques aux religions et de rechercher l'appui des institutions qui se réclament de Dieu.

Brassage social
Mais le brassage social et culturel issu du développement de l'économie mondiale et des communications contraint les religions à faire face à une situation nouvelle. Le monopole du christianisme s'est effondré. L'offre religieuse s'est diversifiée et les religions se trouvent désormais en concurrence. Il est devenu aisé d'accéder à une large gamme de traditions religieuses et de se joindre aux communautés qui les professent. Le poids démographique et social des religions a été bouleversé, et l'Etat doit faire face à toutes sortes de collectivités qui peuvent revendiquer des droits égaux. Les mariages mixtes se multiplient et compromettent la transmission des croyances au sein des familles. Au prosélytisme tend à se substituer la tolérance, voire l'indifférence. Quelles que soient les prérogatives que le christianisme continue à vouloir défendre, il n'est plus qu'une religion parmi les autres.
En marge de cette évolution globale des religions, de violents courants socioreligieux en appellent à Dieu pour attiser des haines et justifier d'inqualifiables crimes - jusqu'à provoquer des guerres sans merci. L'extrémisme islamiste n'est assurément pas l'Islam, et les musulmans ne sont pas responsables des attentats commis par des minorités intégristes au nom d'une foi qui, en réalité, condamne de tels actes. De même le christianisme ne doit-il pas être tenu pour responsable des crimes perpétrés en réponse à ces attentats, sous la forme de représailles démesurées qui seraient voulues et bénies par Dieu. Mais ce double constat ne permet pas d'ignorer que l'inique fracture mondiale entre les nantis et les exclus recoupe des clivages religieux, que les religions ont vocation à défendre sans acception de croyance les droits fondamentaux des peuples déshérités et méprisés, et qu'elles sont toutes gravement coupables quand elles ne le font pas - ou n'interviennent qu'en paroles.

Un éclairage théologique
C'est parce que les structures religieuses sont intimement mêlées aux contradictions des hommes qu'il est si difficile d'en saisir clairement la nature et les pouvoirs propres. Tel sera l'objet de la conférence de Claude Geffré, un des meilleurs spécialistes actuels de la théologie des religions, internationalement connu pour ses travaux sur l'herméneutique.
Dominicain, professeur honoraire à l'Institut catholique de Paris, il a dirigé la célèbre collection Cogitatio fidei aux Editions du Cerf, puis la prestigieuse Ecole biblique et archéologique de Jérusalem. Confronté aux interrogations suscitées par la coexistence difficile des monothéismes judaïque, chrétien et islamique, et très attentif aux autres grandes religions du monde, il en est venu à penser qu'une véritable théologie interreligieuse devrait se substituer à la théologie classique des religions.
Interrogé sur les prétentions de chaque religion à détenir seule le vérité, C. Geffré répond sans détour que l'homme ne peut accéder qu'à des manifestations partielles de la vérité, y compris dans les textes révélés, et que la vérité totale ne se dévoilera qu'au terme de l'histoire, dans l'ultime face à face avec Dieu. Aucune religion ne possède donc l'entière vérité et ne peut nier que les autres religions reflètent partiellement et à leur manière, dans des contextes historiques différents, l'unique vérité qui est en Dieu et en lui seul. Récusant tout triomphalisme, C. Geffré rappelle que "le christianisme est issu d'une croix où Dieu et l'homme ont connu le plus total dépouillement, et qu'il doit par conséquent cheminer avec les hommes et leurs cultures dans le respect de l'humilité et du silence de Dieu".

J.-M. K.